Rock
Culs bénis du R’N’R
Par Michel "Streaming" Espag
lundi 16 octobre 2006
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Peinture - Matthieu Moreau - 2006

"Little Richard et Jerry Lee Lewis sont à Belzebuth ce que Benoît 16 est au rock’ and roll" Lou Malevit

Culs bénis du R’N’R’

Le feu venait de prendre dans cet avion et l’homme noir se mit à prier, promettant à Dieu que s’il en réchappait il reviendrait dans son église. Pour chanter du Gospel. L’incendie s’est arrêté. Pas d’apocalypse now. Ce n’était qu’un rêve, mais Little Richard le prit très au sérieux. Lui, l’ un des plus déments et excitants pionniers du rock’ and roll, venait de décider de jeter l’éponge et d’attraper le goupillon. Et ce serait un cauchemar pour ses fans. Pour bien prouver à son entourage que sa décision était irrévocable, il jeta sa bague de 8000 livres dans le port de Sydney. "J’aurais bien aimé voir la tête du type qui a pêché ce poisson. Un cadeau royal, une largesse de Little Richard". Nous étions en 1958 et la série de galas en Australie avec Gene Vincent et Eddie Cochran serait sa dernière tournée. Little devenait mystique à vingt-six ans et décidait d’étudier la théologie à Huntsville, en Alabama.

Le diable me pardonne...

L’opium du peuple avait encore frappé. Car un autre rock’ n’ roller avait failli, mais in-extremis il était revenu dans le giron de la "musique du diable" : Jerry Lee Lewis qui était entré à dix sept ans à la "Bible Institute" au Texas pour apprendre à prêcher la bonne parole. Mais la sale habitude qu’il avait de jouer au piano une version punchy de "My God is real" pendant la messe et "Hadacol Boogie" en cachette le fit renvoyer par le Principal. De toute façon, Jerry faisait le mur pour aller traîner dans les bouges et écouter du Boogie woogie.

Bye bye prêcheur...

Il était possédé par le démon et, comme Little, il sera un culbuteur de l’enfer. Car nos deux culs bénis ès-rock’ and roll venaient du sud des Etats-Unis, un endroit où les blancs et les noirs n’étaient égaux que dans leur ferveur religieuse. Little, un pauvre black comme tous ses frères de couleurs de Géorgie. Et Jerry, un petit blanc bec issu d’une famille de fermiers de Louisiane. Tous les deux n’ avaient pour s’en sortir que leur fougue et leur virtuosité au piano.

Jerry pensait être meilleur que Presley. Little disait qu’Elvis était une bénédiction pour les noirs. Il avait fait connaître le Rythm’ and blues au public blanc.

Tutti Fruti all rootie, awopbopaloobop alopbamboom !

Little Richard Penniman, à 14 ans, chantait des solos avec la chorale de Gospel locale. Au Temple, il avait le surnom de "War Hawk", un faucon de guerre qui hurlait avec ferveur. Son père l’ayant abandonné à 13 ans, il s’était retrouvé à l’ orphelinat et faisait lui aussi le mur pour aller écouter du woogie. Un couple de blancs l’avait recueilli. Il n’avait plus le blues et, dès qu’il avait quelques dollars, il prenait des cours de piano. Vade retro Satanas ! Jerry, lui aussi, allait à l’église, car ses parents étaient membres de "L’Assembly of God church" et, enfant, il écoutait le Gospel religieusement, mais aussi le blues de Robert Spencer qu’ un copain noir lui avait fait entendre sur un phonographe, ainsi que le country des paumés du rêve américain. Il en était tout retourné d’entendre ces musiques profanes. Chez son oncle, il y avait eu ce piano et Jerry à neuf ans s’était mis à jouer un air dessus. Ses parents avaient décidé d’hypothéquer leur ferme pour lui acheter un "Stark droit" d’occasion. Celui qui deviendrait "Mister pumping piano" partait sur les routes avec son père. On mettait le piano à l’arrière du vieux camion pour aller jouer dans les fêtes de village. Jerry était aux anges et ses parents n’ avaient rien contre le Boogie woogie. Little, de son côté, se met au blues en 1951. Il participe à un radio-crochet et gagne à 16 ans un contrat chez RCA. Il enregistre quatre 78 tours bluesy. Mais c’est quatre ans plus tard le gros lot avec son Tutti Fruti, un disque d’or composé en faisant la vaisselle dans une station d’autobus. Il se fait virer de son emploi car il chante tout le temps. Mais les disques Speciality ont plus d’oreille. Il signe un contrat. Son style : des onomatopées, des histoires abracadabrantes, tout cela hurlé avec des houhouhouhou. My God ! Quel tempérament de feu !

You shake my nerves and you rattle my brain ...

Le père de Jerry, lui, vient de vendre 33 douzaines d’œufs. Cela paiera les frais pour aller à Memphis passer une audition pour Sun Records. Un jeune camionneur était venu lui aussi chez Sun au début des années 50 : Elvis. Et le boss Sam Phillips avait trouvé avec lui un nouveau style musical, le rockabilly. Une musique toute en nerfs, un cocktail explosif, mélange de blues, country et hillbilly. Une recette qui allait tout casser, pour aboutir au rock’ and roll.

L’audition de Jerry Lee accroche et avec "Crazy arms" il trouve son premier hit en 1956. L’année suivante, ce sera "Whole lotta shakin’ going on" (ça secoue tant que ça peut), un vieux morceau des Commodores remanié- musclé. Les amphets et le whisky forgent son caractère :"Je me fiche de ce que vous pensez ! Ce qui compte, c’est ce qui est écrit dans la Bible", hurle-t-il à Sam Phillips. Début des emmerdes aussi, car les radios ne le programment pas. Trop érotique et vulgaire. Ce sera le premier méga-hit du killer. Le débit mitraillette et le côté saccadé enthousiastent les teenagers. Bête de scène cornu, Jerry Lee secoue son micro à pied, qui est dressé entre ses jambes et finit ses shows par : "God bless you !". Diabolitas. Jerry, furieux de passer en première partie de Chuck Berry, arrose son piano d’essence, frotte une allumette et y met le feu pour clôturer son tour de rock. "J’ai transformé ce maudit piano en tas de cendres. Ils m’ont forcé à le faire, en me disant qu’il fallait que je passe avant Chuck.". Il rocke aussi au ciné, dans "High school confidential" (Jeunesse droguée). Le titre français est interdit au moins de 16 ans. Jerry aime de plus en plus les pilules et le whisky. Il a le même docteur Feelgood qu’Elvis. Par les cornes du diable !

"Avec le rock’ n’ roll, on se laisse vraiment aller alors qu’avec le rhythm’n’blues, on doit plus se contrôler." Dixit Little Richard

Jerry Lee et Little ont des points communs. Des looks qui font fantasmer leurs fans et dégoûtent les parents. Little porte une veste large et un pantalon évasé (65 centimètres de large en bas) et il a les cheveux graisseux avec banane. La mèche dégouline sur son visage pendant son show survolté. Il roule des yeux et se secoue comme un dément. Jerry Lee porte la veste noire avec bouts des manches et col léopard. Le pantalon est tuyau de poêle, ses cheveux sont longs, ils tombent en cascade et recouvrent ses oreilles pendant son show. Le piano est martyrisé par nos deux phénomènes. Ils jouent avec leurs poings, leurs coudes, leurs pieds, comme des dingues. Les parents et les autorités sont écœurés. Eux qui pensaient qu’Elvis était le maximum d’offense à leur morale.

"J’ entraîne le public en enfer avec moi" Dixit Jerry Lee Lewis

Mais les problèmes avec les ligues puritaines continuent pour Jerry Lee. En 59, il part pour sa première tournée en Angleterre avec sa jeune épouse et cousine Myra.

Les journalistes à leur descente d’avion apprennent qu’elle n’a que treize ans et qu’il a déjà été marié avec Dorothy qui en avait quinze alors que Jane, seize ans, mariée aussi avec lui attendait un enfant. Bigame pendant huit jours ! Jerry Lee allait divorcer pour la première fois à dix-huit ans. Les tabloïdes de la perfide Albion s’en donnent à cœur joie. Jerry Lee est crucifié. Il ne donne que trois concerts et se tire. Tabernacle ! Aux USA, le New-York Herald Tribune le descend en flamme et titre : "La famille de J.L.Lewis compte un membre de plus. Il lui a acheté une nouvelle poupée". Pauvre Jerry, la presse à scandale le fait chuter. Il tire le diable par la queue. Il court les cachetons et il ne passe plus ni à la télé ni à la radio. Pendant ce temps là, Little chante la gloire de Dieu, sur un petit nuage au milieu de ses ouailles. Il est le révérend R.Penniman dans une église adventiste du septième jour. Notre prêcheur va enregistrer des gospels, dont un avec Sister Rosetta Tharpe. Ella Fitzgerald le félicite.

"Jerry Lee Lewis est l’un des seul blancs qui sache chanter comme un noir." Dixit Little Richard

De son côté, Jerry Lee remonte la pente de son "chemin de croix."Cela finira en apothéose avec son show au Star Club de Hambourg en 64. Il en sortira un fucking putain d’alboum, nom de Zeus ! "Il faut être soit chaud soit froid. Dieu vomit les tièdes", dixit Jerry Lee. Pétage de plombs. Bourré, il tire au revolver sur le portail de la maison d’Elvis en gueulant "Sors donc fils de pute, je vais te montrer qui est le roi du Rock’ and roll". Les flics l’arrêtent souvent pour conduite à donf, saoul et raide. Ils trouvent 157 pastilles vertes sous le siège arrière de sa Cadillac. "J’ étais descendu à moins de cinquante kilos, je bouffais les pilules comme du pop-corn. Je vomissais du sang. J’ ai prié, j’ai demandé à Dieu de m’aider. Le Christ était là. Je me suis senti bien. C’était comme la première fois où j’ ai pris du LSD." Gloria ! En 68, il se remet au country pour les USA, bingo ! "Another place, another time" est un hit chez les cow-boys. Il joue aussi au théâtre dans "Catch my soul" inspiré de l’Othello de Shakespeare. Succès, à guichets fermés. Little Richard revient lui aussi, en 63. C’est la résurrection. Il hurle "Bama Lama Bama Loo", balance ses chaussures et sa chemise à ses fans. Il est aux mêmes programmes que les Beatles ou les Rolling Stones. Il sort de scène à moitié nu, le "pêché" l’a repris dans ses griffes. "Les gosses m’ont ramené. J’ ai des frissons quand je les vois m’applaudir. Je suis de retour". Tout cela est infernal, ooohhh, my soul !

"Toutes ces histoires sur le R’N’R’ qui incite à l’émeute, c’est de la connerie. C’est pas la musique qui fait ça. Fallait que ça sorte d’une façon ou d’une autre." Dixit Jerry Lee Lewis

Myra, la femme de Jerry Lee, rejoint "The Church Assembly of God". C’est la crise mystique entre eux. Lui sort deux albums de gospels. "En tout cas, il n’y aura pas de boisson, de jurons et d’histoires. Plus de fête débridée ni rien de tout ça. Je vais prier et voir ce qui se passera". Mais Satan l’habite. Il rejoint les Doors sur la scène du L.A Forum. Avec Jim, cela fait deux enfants de chœur destroy.

Rocking pneumonia and Boogie Woogie flu.

En 72, il retrouve Little Richard au Festival R’N’R’ revival de Wembley. Tout feu tout flammes, il pilonne son piano. L’apocalyptique Little, lui, va affoler les machos Teddy boys, en arrivant avec une coiffure Pompadour de 15 centimètres de haut, des faux cils immenses, les yeux cernés de mascara. Et surtout il porte une robe et des voiles ! C’est la révolution des mœurs et Little ne cache plus son homosexualité. Il est le Queen/King du R’N’R’. Et l’on apprend que les Miss Molly, Sally et Lucille de ses chansons sont ses conquêtes masculines. "Le R’N’R’ a le pouvoir de guérir. Il fait retrouver la vue aux aveugles, marcher les estropiés, se relever les morts". Sacré Little. Depuis, il est reparti dans son église et fait des concerts de R’N’R’ régulièrement. Il est cul et chemise avec Dieu et Diable. Jerry Lee, lui, a tout claqué et le fisc s’est chargé du reste. Adieu maisons, caisses, flingues. Il a été opéré d’une occlusion intestinale, mais les lignes de coke et le whisky qu’il a pris à l’hosto l’ont renvoyé sur le billard. Depuis, il a sorti un CD avec "Young blood ". Sacré Jerry Lee, increvable ! Nos deux "messies" reviennent de temps à autre à Paris apporter la bonne parole. Ont-ils fait un pacte avec Méphisto, Jehovah and Co ? Les mystères du R’N’R’ sont impénétrables. Amen et let’s go times roll !!!

Michel "screaming" Espag

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Peinture - Matthieu Moreau - 2006