Fernando Arrabal : J’ai tourné la tête en pleurant
mardi 2 mai 2006

J’ai tourné la tête en pleurant

Fernando Arrabal

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Peinture Tiphaine Stepffer - 2005

Avec quelle douleur, j’ai eu envie de pleurer, à maintes reprises, dans le wagon du train qui m’a conduit à Paris. Cela fait un demi-siècle. Or ce onze décembre 1955 j’imaginais, comme aujourd’hui je m’imagine, provisoirement déraciné. La surprise m’envahissait de ces tulles d’irrationalités comme une excitation tressée de crainte et d’espoir.

Ils étaient tellement nombreux ces espagnols, qui se marchaient sur les pieds, ils suivaient le même périple, les « sambenitos », et les émigrants - exilés ou vice-versa.

Juanito Valderrama nous à dédicacé un couplet, l’historien un chapitre, le sociologue un pamphlet, et Kundera un roman.

D’autres compatriotes notables de haut rang surchargés de guirlandes et de couronnes ont traversé la frontière pour ne plus jamais revenir. Mais nous ne savons rien de cet instant grave de leur vie. Ils n’ont jamais fait référence à cela. Peut être à cause des réminiscences qui frappaient comme des coups de douleur d’épines et de feu ? Juan Luis Vives a traversé définitivement les Pyrénées en 1509 abandonnant son adorée et inoubliable Valencia à jamais.

Comme Picasso le fera 400 ans plus tard. Saint Ignace dans le château de Loyola, part à Paris en 1538, tel que Juan Gris au début du 21 eme siècle pour mourir définitivement, déraciné et invisible dans un faubourg parisien. Quelle euphorie quand dans le train j’ai senti que mes racines se transformaient en jambes de plâtre. Ce n’est pas ainsi chère Carmen Iglesias ?

Mais, les tas de séquelles et de tares de super doué, m’empêchait de croire à cette aventure empesée. Avec quelle frivolité et phosphorescence, au milieu de mon compartiment j’ai eu envie de rire, en pensant à la stupeur de mon sous-chef de la « Papelera Espagnola S.A ». Rimbaud avec ses « croassement » a immortalisé cette caste des fonctionnaires résignés, en les appelants les « assis ». La veille, et je crois encore aujourd’hui que j’ai eu raison, puisque « l’employé exemplaire » m’avait obligé a aller travailler « à jamais » dans une dépendance en ruine qui se pré- nominait le « Siberia »

Tout à coup je me suis senti en feu à cause de ce rire avorté. Ce rire avait le goût de la vengeance, cette monstruosité bête (jusqu’à ces derniers recoins) centrifuge, dont je ne me suis jamais servie, même au crépuscule.

L’innocence et le scepticisme avaient rongé mon ambition, déjà en jouant au cache-cache. Quand j’ai eu l’age de la raison. Homère avait écrit « Celui qui traverse les océans changera de ciels, mais pas d’esprit ». Mon exil n’a absolument pas changé mes habitudes, pour être plus précis elles ont évoluées comme la couleur de mes yeux ou mon rhésus B négatif.

C’est fut Une certaine circonstance (et ses écailles) très peu significative et peu profonde (comme disaient les plongeurs et psychiatres).Seul le rythme de vagues eut une répercussion sur mes écrits.

Ecrire permet de ne pas se laisser asphyxier par le tremblement des cendres de la réalité, bien que la réalité soit enchaînée à notre imprévisible souffrance. Je n’ai jamais abandonné la ferme terre espagnole, bien que la plus grande majorité de mes premiers éditeurs, puissent apparaître comme des maillons étrangers et que beaucoup de mes poèmes s’ hérissent, en les traduisant en français.

Même les déracinés qui sont partis définitivement, comme Picasso, ont hautement apprécié leurs premiers plats cuisinés grâce à ce muscle, corps, et organe appelé langue. Grâce à elle aussi le déraciné choisit sa langue, avec laquelle il va écrire ou s’exprimer avec beaucoup de sens dans les « vis-à-vis » des échanges délirants de l’amour. Nous devrions analyser les cas les plus extrêmes, acter sans ambiguïté (comme disait Montaigne) sans équivoque (comme proposaient les Grecs) sans confusion (comme nous l‘avons dit dans notre mouvement Panique), sans indétermination (comme la formule que nous enseignent les physiciens quantiques) et sans exception (comme nous l’apprend la Pataphysique).

Les œuvres du déraciné, contrairement aux imaginatives pensées de mes compatriotes censeurs, qui font, avec la poussière de ces pierres, du baumes dilués dans du poison. Dans mon cas je me sens si inférieur à chacune de mes œuvres, si faciles à plagier dans la nuit étoilée, tandis que mes maladresses sont inimitables. L’agnostique que je crois être actuellement aspire à devenir Saint dans l’exil. Surtout je reconnais que mes « indéterminations » ne gênèrent ni autisme ni folie, amère victoire qui contient la certitude comme sculptée dans le volcan.

Le pire ne devient pas toujours réalité comme l’annonçait Calderon, alors que son « gracioso » du « Fils du Soleil » reconnaissait qu’il était idiot, mais que ce qu’il avait vu, le rendait deux fois idiot.

Dans l’exil j’ai croisé des Saintes comme la « gardienne » portugaise de l’immeuble dans lequel j’habite. Grâce à cette circonstance j’ai eu le plaisir de jouir de l’amitié des « justes » comme Beckett, Dali, Topor, Duchamp, Houelebecg, Kundera et de trois arra « beaux » (L, L, &S) J’ai connu aussi dans l’exil quelques compatriotes anonymes qui m’ont fasciné sur le chemin du Mont-Sacré, ils soutenaient que le désespoir, même dans le gros de l’orage, ou derrière des barreaux, est un manque de talent, d’imagination, et aussi un manque de goût et de bonté. Les quatre dramaturges exilés, « con los que tanto he querido », Beckett, Fo, Gao, et Pinter ont donné du brillant au Nobel, obscurci par les phalangistes « amanuences filotiranos » et sans éclat. On aurait dit que le pouvoir des idées comme celles de Nietzsche et Marx, arrachaient les vieux tapis défraîchis et les vielles vitrines rouillées des militants de ceci ou cela. Parce que je suis un déraciné, ils sont venus vers moi (ou c’est moi qui suis allé vers eux ?) les mouvements marginaux poussaient comme des fleurs ou des chardons sur des terrains vagues.

La Pataphysique m’a illuminé comme science sur les exceptions, les épiphénomènes et sur des solutions imaginaires. La Panique continue à m étonner par sa lucidité.

Malgré la mort de Kerouac et Ginsberg, la poésie « beatnik » joue encore de sa flûte de gaze et de porphyrie.

Pendant trois ans dans le café surréaliste de Paris, j’ai fait des veaux sous la direction d’une vache sacrée. Je n’ai pas participé à ce milieu de tolérance et d’intelligencia, mais à celui qui prônait la beauté et l’amour. Il devenait évident que l’amour était fâché avec la liberté.

Le surréalisme n’aurait pas existé sans le tandem de « cordobeses » déracines « De la plaza del Potro » Maimonides et Averroes.

A la mort d’André Breton certains phylo-surréalistes ont cessé de croire au surréalisme, et ils se sont mis à croire à n’importe quoi, se détournant ainsi du paradis des nuances.

On ne peut pas dire qu’un changement substantiel se produisit dans mes écrits aux contacts de ces avant-gardes car leurs rotules tombèrent dans les ronces. La tuberculose et ses corollaires, les hôpitaux, les souffrances, ces délices et les opérations ont laissé plus de traces et des écumes profondes, dans mon corps et mon esprit. Dans l’exil la science et l’art ont structuré les dimensions du recul de l’esprit jusqu’à la beauté. Serait ce trop excessif de dire précisément que l’art et la science n’ont pas besoin « d’assis » sinon de Saints ... . Plus que des révolutionnaires et les réformateurs tenu en laisse ?

Le déraciné peut se cloîtrer comme une chauve souris... pour écrire comme un aigle royal. Avec du talent on se sert de nos souvenirs et avec du génie de tout ce que l’on oublie. Grâce à cette capacité il attend de se libérer de la dégradante obligation d’être un artiste de son temps. L’art pour le déraciné est la patrie qui voyage avec lui.

L’amour charnel l’émeut seulement quand les « couvertures des magazines » le représente désastreux ou maladroit. Le déraciné ne s’attache pas à la provocation, parce que la provocation émerge de la pente abrupte, aussi imprévisible que le succès ou l’amour.

L’exil est l’endroit du monde où il est le plus facile de se passer du bonheur. L’histoire plus que les faits, déploie les plis des tableaux en écho. Mais chaque époque alimente ses illusions pour ne pas mettre un linceul à la réalité du présent. Puissions-nous pour toujours jouir de cette immense Aurore et de cette « patineuse » appelée Théâtre !

Dans le wagon du chemin de fer qui me conduisait vers l’exil, m’est venue l’idée insistante (comme une phrase musicale, comme quand je joue aux échecs) un passage de la lettre de Schrödinger à Einstein et aussi de son fameux chat. J’aurais aimé miauler comme lui.

En même temps dans ma terre et loin d’elle.

Fernando Arrabal - 2005

Traduit de l’espagnol par Stepffer Tiphaine