HISTOIRE de Mystiques
mercredi 9 juillet 2014
par Administrateur- tiphaine
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ELISABETH DE SCHÖNAU

VISIONS « La vie d’une âme, la voix d’une soeur » Elisabeth de Schönau (1129-1165) est une visionnaire attachante et aujourd’hui quelque peu méconnue en France. Non qu’elle soit ignorée : une notice lui est régulièrement consacrée dans toutes les entreprises de recensement des mystiques ou des saints du Moyen Age, y compris aussi personnelle que la galerie d’extatiques reconstituée par Jean-Noël Vuarnet. Mais si de nombreux travaux à son sujet ont vu le jour en Allemagne ou aux Etats-Unis, bien peu de publications la concernent dans l’Hexagone, où pourtant Charles V en personne avait commandé une traduction française de ses Visions. Le sage roi (1337-1380) avait entendu dire qu’un certain Jacques Bauchant, de Saint-Quentin en Vermandois, possédait une intéressante bibliothèque et s’y connaissait en traductions et il voulut l’attacher à son service. Il en fit donc son sergent d’armes dès avant 1367 et, avant de lui confier la traduction d’un texte attribué à Sénèque, il testa son talent en lui faisant traduire en 1372 le Livre des voies de Dieu et les Visions d’Elisabeth , deux textes souvent conjoints dans les manuscrits et que le souverain avait remarqués dans le catalogue de Bauchant. Née vers 1129 dans une noble et dévote famille rhénane, Elisabeth entra à l’âge de douze ans au monastère de Schönau, qui était alors une fondation relativement récente, dans la mouvance de Hirsau. Etabli en 1114 en tant que prieuré bénédictin pour hommes dépendant de l’abbaye de Schaffausen, il fut converti en 1125 ou 1126 en monastère indépendant, auquel vint s’ajouter un couvent féminin. Il

Elisabeth n’échappa pas au sort de certaines grandes figures de la mystique occidentale parfois confondues avec d’autres ; en l’occurrence, elle fut souvent prise pour Elisabeth de Hongrie, comme dans la chronique de Mathieu Paris, qui affirme qu’elle fut mariée à un landgrave, et plus loin, qu’elle était fille du roi de Hongrie. Mais Elisabeth fait surtout figure de frêle arbuste à la fois protégé et caché par le grand arbre à côté duquel elle a poussé, à savoir Hildegarde de Bingen, qui occupe aujourd’hui si largement le devant de la scène internationale : Jean-Noël Vuarnet voyait ainsi Elisabeth comme « une émule un peu pâle mais très attachante, un double de la grande Hildegarde » Les deux femmes, dont les monastères respectifs n’étaient guère distants l’un de l’autre, furent liées par un même don et surtout par une amitié dont leurs correspondances respectives et les Visions d’Elisabeth gardent la trace, sans parler quelque peu sur « Elsebe » en évoquant ses oeuvres. Rappelons enfin que comme Hildegarde, Elisabeth est en quelque sorte une « sainte de la main gauche » ; elle ne fut jamais canonisée, mais elle fut qualifiée de sainte pour la première fois par les chartreux de Cologne, qui inscrivirent son nom dans le martyrologe d’Usuard imprimé à Cologne en 1515 puis en 1521. En revanche, contrairement à la « Sibylle du Rhin », elle encourut à l’envi doute et scepticisme - ce qui ne devait pas empêcher ses écrits d’être beaucoup plus lus et diffusés que ceux de sa contemporaine. Hildegarde, depuis, l’a pourtant éclipsée, sans doute par la variété, l’originalité, voire le génie de son oeuvre. Contrairement à ceux d’Hildegarde, en effet, les écrits d’Elisabeth dépendent expressément de l’érudition d’un homme, et c’est son frère qui porta véritablement sur elle une ombre dont il n’est pas toujours facile de prendre la mesure. Car s’ils formèrent incontestablement un tandem, la question de la contrainte exercée par le frère sur la soeur reste ouverte et Elisabeth apparaît pour le moins comme une femme sous influence. Eckbert encadre littéralement les Visions d’Elisabeth, et c’est sur sa voix, sur ses propos que s’ouvre mais aussi que se clôt le présent recueil. A la fin de l’ouvrage, Elisabeth lui laisse en effet en quelque sorte la parole qu’il avait rendue possible et s’en remet à lui pour une interprétation juste et autorisée d’une vision lui ayant montré le pape Grégoire. Et Eckbert, après avoir sacrifié lui aussi aux protestations d’indignité, accepte bien volontiers d’accéder à la requête de sa soeur et d’avoir le dernier mot, et se lance donc dans une longue exégèse de la vision.