Barbara Fournier rédactrice de la revue Polyrama
lundi 10 juin 2013
par Administrateur- tiphaine
La science ne nous dit pas où nous allons - c’est le rôle de l’art - ; elle nous dit où nous sommes. Laurent Lemire

Davantage que les arts qui l’ont précédée, la photographie prolonge un désir démiurgique. « Secret about a secret », selon les mots de Diane Arbus, la photographie s’empare de l’insaisissable, atteste pour toujours de l’instant évanoui, sublime le déjà vu en jamais vu et ranime d’une fugacité de l’instant le never more. Le lien de la photographie à ce visible tient de la relation amoureuse. Une relation singulière où les deux protagonistes avancent masqués, car ce n’est évidemment pas le visible qui se révèle dans la photographie, mais c’est la photographie qui ajuste la mise au point de notre regard d’humain sur ce que nous croyons voir. Pourtant, œil du divin, l’appareil photographique semble l’être un peu plus que jamais. Des télescopes inédits nous ramènent déjà le souvenir de temps immémoriaux et des portraits de confins d’univers. Des microscopes à force atomique nous baladent dans les vertigineux paysages de l’infiniment petit. Entre l’abscisse de notre appartenance à la matière et l’ordonnée de nos aspirations à l’immatériel, nous errons dans de nouveaux rapports d’échelle dont nous sommes les étrangers. Or, quel que soit le contenu que nous raconte la photographie, son contenant nous ramène invariablement à nous-mêmes, Capter le tressaillement infime de la réalité́ à notre mesure. Parce qu’elle est réflexion, elle nous interpelle directement pour nous demander ce que nous faisons là. Cette interrogation métaphysique est à l’affût dans toute photographie, qu’elle contienne ou non une intention d’objectivité. En effet, le jeu du voir et du montrer conduit- il jamais ailleurs que dans une projection intérieure ? L’impression photographique est-elle autre chose que cette ombre portée et rapportée qu’Antonioni a évoquée avec une acuité stupéfiante dans Blow up ? De la science, les objectifs les plus sophistiqués captent ce tressaillement infime d’une réalité qui n’en finit pas de nous échapper d’un rien, d’une poignée de nanomètres ; une réalité qui nous frôle toujours, à quelques centaines d’années lumière... C’est pourquoi, on pourrait sans peine se laisser à dire que la photographie est ce médium par lequel l’art et la science renouent leurs liens naturels. Des liens essentiels - il faut le rappeler avec force aujourd’hui - pour conférer à nos vies, à nos recherches, à nos expériences, cette charge de sens qui fait basculer toute image, toute découverte, toute existence, du pré carré de l’anecdotique à une part d’universel.

Barbara Fournier, Rédactrice de la revue EPFL Polyrama