Rock
R’N’R’ ET CATS
Michel "Screaming" Espag
mercredi 8 février 2006
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Johnny Thunders : photographie Thierry Geffray

"Le R’N’R’ rend la vie plus intéressante que le R’N’R’ " Lou Malevit

R’N’R’ ET CATS EN CUIR

Tant qu’il y a du cuir noir, il y a de l’espoir. Cela aurait pu être un proverbe de rock n’ roller. Tels que Gene, Vince et Jim. Le cuir, celui dont on fait les héros, pas le skaî ni le latex. Surtout pas. Iggy Pop avec ou sans Stooges ou Lux Interior avec les Cramps, portent le pantalon de cuir noir. Aux chevilles sur scéne rapidement.

En fond sonore : "Sweet Gene Vincent" par Ian Dury.

M ais ceux qui ont porté le cuir noir des pieds à la tête, n’étaient que trois. Gene, Vince et Jim. Les deux premiers ont démarré leur carrière en 1956 et 58, le troisième en 65. Ils portent leur cuirasse de cuir à partir de 60, 61 et 67. A partir de là, avec cette seconde peau, c’ est la vie à fond les manettes comme les bikers des films "L’équipée sauvage"ou "Scorpio rising". Si Vince acheta une tenue de ski en cuir noir qui lui servait de combinaison amaigrissante,"quelques kg en moins après le show" disait-il, Gene et Jim ont fait faire leur costume de scène sur mesure, eux . Vince et Gene portèrent une fois du cuir blanc. Infidélité à leur tenue satanique, mais le bruit et la fureur du motard n’étaient pas loin. Qui se rappelle aujourd’hui ces anti-héros ? Un teddy boy en veste victorienne, col faux léopard ? Qui d’un coup de peigne remettra en place la vague de sa Pompadour grisonnante ?

Tout avait bien commencé pourtant. "Be Bop a Lula" un succès planétaire en 56 avec les Blue Caps. Quelques tubes ensuite. Et puis le rock est banni des clubs et des ondes, aux States. Des paroles trop sex, les blancs et les noirs qui sympathisent. Trop pour l’Amérique prude et raciste. On impose des "Idoles des jeunes" insipides à la place des voyous du rock.

Dans le Juke-box Wurlitzer : les 45 tours vinyl en or de Gene. Pink Thunderbird, Frankie and Johnny, Blue Jean Bop, Flea brain, Dance to the Bop, Race with the devil, I’m going home.

Rock on, en 60. "Wild Cat Gene" et Eddie Cochran sont de l’autre côté du Channel. Puisque les USA sont accro aux sucreries. Concerts et directs à la télé, pour l’émission "Boy meets girls". L’aventure continue en England, ils chantent ensemble "White lightning".

Eddie porte le pantalon en cuir noir et Gene la totale démoniaque. Jusqu’à ce qu’un lampadaire vienne se planter devant la voiture des "bad guys". Eddie meurt et Gene est blessé grave. Le diable boiteux avait déjà eu le pied broyé par un accident de moto en 56.

Dans le Juke-box Rock-Ola : les 45t vinyl en or de Gene. Say Mama. Baby blues. Long Tall Sally. Pistol packing mama. Bird doggin’. Story of the rocker. Slow times comin’.

Seul, il traverse la Manche et la France rock reçoit Gegene comme le messie. Les blousons noirs sont fondus déchaînés devant ce tsunani. Accompagné par les Champions, Gene explose tout au Théâtre de l’Etoile avec une version plus musclée de "Be Bop a Lula", version twist 62. Notre destroy est défoncé comme un champ de bataille, pendant ce spectacle intitulé " Young Choc Show ". Ingurgitant médicaments et alcools en quantités prodigieuses, il devient violent hors de scène, spécialiste du coup de béquille et du cran d’ arrêt. Pendant ses tournées dans l’hexagone, puis en Europe, il brûle la chandelle par les deux bouts. Le retour en Angleterre est triste. Gene est ruiné physiquement et moralement. Il divorce plusieurs fois et rocke dans des clubs de troisième ordre en 66-67. Mais de retour aux States en 1971, après avoir bu tout un week-end, sans manger, une hémorragie interne terrasse notre archétype de rocker à 36 ans. Il mourra dans la neige à quelques mètres de la maison de ses parents. L’ancien Marine avait en 69 chanté au Concert pour la Paix (au Vietnam) organisé par John Lennon à Toronto. Il était devenu bouddhiste et ses derniers albums ont été enregistrés par les hippies de Kama Sutra Records et Buddah. Sa famille le fera inhumer, lui qui voulait être brûlé dans son cuir noir et que ses cendres soient jetées dans l’Océan. De profondis, l’icône rock.

"Just like Vince Taylor" par The Golden Earring.

Q U’ils crêvent les rockers, mais ils sont increvables. Car voici le cuir noir numéro 2. Riff on. Vince, les yeux cernés au khöl, les cheveux graissés en arrière, plus les accessoires : chaîne et médaille avec la devise "Omnia dicenda" (Tout doit être dit). La France fut sa patrie d’adoption à cet anglais. Il explose ici avec les Playboys et son batteur d’enfer Bobby Clarck, en 1960. Il devient l’archange noir des rockers français. Succès foudroyant pour le diable bis en personne. Il se roule par terre, rampe comme un fauve. Il gagne la "Coupe du monde du R’N’R’" à Juan-les-Pins en 61 devant Gegene. Son jeu est une performance volcanique, une secousse sismique terriblement vulgaire.

Sur l’écran du Scopitone : les 45 vinyl en or de Vince. Brand new Cadillac. Jet black machine. Shaking all over. Big Blond baby. Memphis Tennessie. A shot of rythmn’ blues. The men from El Paso.

Au Tabarin à Paris, la scène est cernée de fil de fer barbelé ! Il saute à pieds joints sur le piano. C’est 100% rock. Les chanteurs français sont nuls devant ce sex symbol qui sortira avec B.B et Sophie Daumier. Et qui reprendra "Mack the knife" de Kurt Weill et Bertold Brecht, ainsi qu’Edith Piaf. Mais suite au concert-saccage du Palais des Sports, la presse le crucifie. Après l’avoir adoré. C’est le début du naufrage. Il se retrouve entouré de strip-teaseuses au Folies-Pigalle (Twist Appeal). Ingérable. Sa maison de disque le lâche. Seul Disco-Revue (Le lien international des rockers) le défend. C’est la déprime. L’alcool puis les acides.

Les come-back à répétition. Il est stoned en première partie des Rolling Stones, à l’ Olympia. Et n’est pas loin de leur voler la vedette, sa coupe de cheveux est maintenant Beatles.

Mais il se perd dans des shows galères en province, et devient un junky qui a peur des soucoupes volantes et des Chinois. La roue à tourné, Johnny est le n°1 à sa place. Le "Trouble" de Vince est pourtant dix fois plus terrible que "La bagarre" d’Hallyday. La guimauve yéyé est imposée à Salut Les Copains sur Europe n° 1. "SLC" n’est plus rock.

Sur le tourne-disque Teppaz : les 45t vinyl en or de Vince. Jezebel. L’homme à la moto. R’N’R’ station. It’s been a lonely night. Didn’t mean no harm. Space invaders. Until the very end.

Les spectacles déjantés se poursuivent. Il modernise son rock avec du flamenco, du free-jazz et de la reverb qui préfigure le psychobilly. Sa descente aux enfers se ralentit dans les 80’s, avec le retour du rockabilly (merci les Stray Cats) Un punk à chiens, jean non rapiécé façon Ramones aura vu Maurice Brian Holden alias Vince dernière periode. Entre deux tirs de missiles Kro, au Bataclan. Demandez lui si les Teds ont été sympa avec lui, puis courrez. Le bad boy, qui servit de modèle au Ziggy Stardust de Bowie, meurt d’un cancer dans un pays pas très R’N’R’ : la Suisse. A 52 ans (en 91). De profundis Vince,"bien compris" comme tu disais.

" Live free, ride free, die free !!!" Proverbe d’Easy Rider

L e troisième mythe en cuirasse noir et à gros ceinturon mexicain. Move on, c’est Jim. Armez vos désirs avec le desperados à gueule d’ange Morrison. Los Angeles 1965. Avec sa bande de bohêmes de Venice. Un groupe garage punk californien. Qui deviendra les Doors. Jim dévore des tablettes de LSD. Psyché-rock à fond. Il flashe sur Rimbaud et le blues du Mississipi. Succés rapide pour "Light my fire" super hit, qui cartonne en 67. Avec un jeu théâtral et cruel en bonus, un drame poétique.

En 68, le light show a du mal à suivre Jim, qui saute, fait tournoyer son micro en l’air et se jette violemment par terre, raide défoncé. Il casse les portes d’ Aldous Huxley. "Si les portes de la perception s’ouvraient, tout apparaîtrait à l’homme dans son absolu réalité, c’ est à dire infinie" L’alchimie fonctionne au son de l’orgue Vox de Ray Mazarek. Le groupe est en symbiose parfaite. Ce sont des frères de l’Underground qui attendent le soleil. Les morceaux sont hypnotiques et, avec les drogues, ils jouent vite. Jim est un chaman en transe. On est loin du sirop planant hip. Il s’agit là des noces électriques de San Francisco. Cependant, Jim est grave. Pendant l’enregistrement de "The End", il lance un poste de télé à travers la fenêtre de la régie, puis arrose le studio avec un extincteur. C’est la fin du rêve Love and Peace avec James Douglas Morrison, version originale. Pas cool mais R’N’R’.

Sur la platine de la chaine Dual : les 45t en or de Jim. Break on through". People are strange. Back door man. When the music’ over. You make me real. Love me two times.

Le côté noir du rêve californien est là. In-between-Doors, les expériences chimiques. Jim rajoute une couche de provoc. La police investit la scéne, notre adonis démoniaque exhorte le public à l’émeute. "J’ai toujours été attiré par tout ce qui parlait de révolte contre l’autorité, celui qui se réconcilie avec l’ autorité se met à en faire partie". Mal vus par l’Establishment, leur chanson contre la guerre du Vietnam "The unknown soldier". "Ils ont les armes, mais nous avons le nombre pour nous". En 68 les Doors jouent devant cinquante mille personnes, et trente-cinq mille autres marchent sur le Pentagone. On s’éloigne du public bâton d’encens. Jim a le charisme d’un gourou azimuté : Bourbon, LSD, groupies plus si affinités. Le tiercé gagnant. Dur. Il insulte les pigs (flics) qui le matraquent en retour. Mais aussi Janis Joplin qui lui casse une bouteille de Southern Comfort sur la tête. On the rock. Les flowers children deviennent speed.

Suite à sa rencontre avec le Living Theatre et son "Paradise Now", il met la sauce. A Miami en 69, l’ambiance du concert tourne à l’apocalypse. "There are no limits, no laws" scande Jim. Qui déboutonne la braguette de son pantalon de cuir noir et montre son sexe.

Le public apprécie et se déshabille. L’Amérique profonde n’est pas prête, elle. Le "Pays de la liberté" veut la peau du Roi Lézard. Jim est interdit de scène plus un procès pour outrage. Les stations de radio rayent les Doors de leur programmation. Ils sont sulfureux. C’est le cauchemar climatisé à l’œuvre.

Sur la platine de la chaîne Garrard : les 45t en or de Jim. L.A. woman. Riders on the storm. The W.A.S.P. Roadhouse blues. The changeling. Five to one. Wainting for the sun.

Jim devient un as de l’acrobatie. Bien saoul et plein de cocaîne, il se promène sur les corniches des immeubles ou se pend au balcon de son hôtel, au dixième étage. Il est planant. Retour en grâce avec les médias pour les deux derniers albums des Doors : "Morisson Hôtel" et "L.A woman". Mais Jim perd son énergie au concert de la Nouvelle Orléans. Les Doors ne joueront plus jamais en public. Il n’a plus envie de chanter. Maintenant, il veut écrire comme Dylan Thomas. Etre un poète électrique.

Exil à Paris. La vie roulette russe continue en France. Il y retrouve les traces de ses héros, Céline et Baudelaire. C’est la fin de la saga. La porte se lézarde en 1971 à 27 ans. La crise cardiaque (héroine et alcool) terrasse notre ange déchu. Jim repose ici, au Pére Lachaise. Sa tombe, le dernier salon ou l’on fume un pet en buvant raide. "Annuler mon abonnement à la résurrection, envoyer mes références aux maisons de détention, j’y ai quelques amis", chantait-il. Un bab not dead à catogan, entre deux snifs, vous parlera de la discothèque "Rock’n’Roll Circus" et du caniveau où finissait un gros freak sous psychotropes. Notre Jim dans son trip au petit matin. De profundis, Dionysos de la vague.

"Born to loose" par Johnny Thunders & the Heartbreakers

R oll on, il reste un quatrième rocker en cuir noir. Celui qui portait à ses débuts des chemises noires et des pantalons rouges, puis le costume en lamé or. Oui, le premier des Kings. Elvis. Car il faut rendre à César... Tout a démarré à Memphis en 1953, avec cet enregistrement.

Un disque à 4 dollars payé de sa poche pour l’anniversaire de sa maman. Et Sun Records s’interesse au garçon ténébreux à rouflaquettes. "L’Hillbilly Cat" qui commença par le Gospel à l’église comme les black. Le blanc-bec sudiste qui traînait dans les boîtes du ghetto noir, en pleine ségrégation. Ce "Rockabilly kid" hystérique sera le mégaphone de la rebellion des "Tenny-boppers" contre les vieux.

Dans le Juke-boxe Wurlitzer : les 45t en or d’Elvis. Good rocking tonight. Teddy bear. Mistery train. Jailhouse rock. Crafish. Heartbreak hotel. Dont’ be cruel.

Tabula rasa. Voici le R’N’R’, cette association du blues, rythm’n’blues et country. La fureur de vivre du "Bobby- socker" Elvis en plus liera l’ensemble. Il est insulté par les réacs, interdit sur les radios. Rien n’y fait. Les fans le réclament, les médias suivent, il a gagné. Il deviendra l’Icône de l’Amerique. Mais le Pelvis, dans les sixties tourne des navets, joue même du ukulélé dans un de ces films et chante de la guimauve. Il décide en 67 de quitter sa tour d’ivoire de Graceland. De remettre en express le Rock around the clock. Et pour cela il enfile sa peau de dur, le cuir noir, pour son passage télé "68 Comeback Spécial". Cela lui porte chance, puisque c’est ensuite l’ album "Elvis to Memphis". Le maître on the rock est revenu, alléluia ! En 72, c’est le docu "That’s the way it is" made in Las Vegas, et encore une retransmission par satellite. Puis les 4 concerts au Madison Square Garden, avec 80.000 pélerins, dont Lennon et Harrison. Mais la parano-skizo va le rattraper. Le beurre de cahouète et les pillules aussi. C’est l’ overdose. Quand même 19.000 calmants et remontants de 76 à 77. Le no futur des punks, c’est pour lui. On oublie l’Elvis énorme en cuir blanc, couvert de pierreries et d’insignes, bardé de chaînes tocardes. On ne retient que le King of western bop, le beau gosse à lippe méprisante qui a changé le monde et la musique d’instinct. Rock & Rule. De profundis Elvis.

Sur la platine de la chaîne Pionneer : les 45t en or d’Elvis. Dirty dirty feeling. Guitar man. Big boss man. Long black limousine. Raised on rock. In the ghetto. Polk salad Annie.

Yeah. Hier encore, j’avais quatre amis, broyés par le succès. En mister Hyde ils se sont changé. Que vienne vite le cinquième maudit en cuir noir pour des morceaux en or à glisser dans le lecteur CD.

SEE YOU LATER, BLACK LEATHER CATS !

Michel "Screaming" Espag