Correspondance intime
Lettre à mon ami
Tidji
mardi 7 février 2006
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Bon, tu vois, comme d’un fait exprès tu me donnes encore des soucis, j’avais en tête de mettre ta lettre en regard de ma lettre, mais bien sûr impossible de mettre la main dessus, trois jours de recherches, rien. Elle est là quelque part, coincée entre deux livres ou autre part mais je fais une croix, elle restera à moi, je ne la publierai pas et c’est tant mieux, elle ne restera qu’à moi. Alors à mon tour de t’offrir quelque chose, juste cette photo d’un mur pas si anodin que ça puisqu’il est juste en face ma fenêtre et que je sais que tu l’as vu maintes fois. Tu sais j’ai plein de choses chez moi, des choses remplaçables, presque toutes, mes livres, mes disques, mes vidéos, mes écrits qui ne valent en fait pas grand-chose, mes photos que je suis juste content d’avoir faites, les traces de mes voyages, j’aurais vraiment voulu partir avec toi en Inde ou au Népal, mais ta lettre elle, si un huissier venait chez moi il ne me la prendrait pas, ce n’est qu’un bout de papier mais c’est la seule chose vraie qui me reste de toi. Je n’ai pas peur de la vie mais lorsqu’elle ne sera plus je veux garder à jamais une image vivante de toi, je veux faire à ce pacte avec la mort, te garder comme une présence qui ne s’éteindra jamais.
Bisous
Tidji

Lundi 13 juin 2005

Je me souviens comme si c’était hier du jour où j’ai reçu ta lettre, j’étais heureux d’avoir de tes nouvelles, c’était la première fois que tu m’écrivais, je pensais souvent à toi, je te savais en Espagne à la Villa Velazquez pour ton service militaire, je me demandais comment tu réussissais à le supporter , je me demandais ce que tu faisais, si tu travaillais sur notre projet de link machine, je t’en savais capable. Je ne t’avais pas revu depuis plus d’un an, tu étais parti faire un tour du monde puis hop service militaire. En lisant ta lettre je ne t’avais pas reconnu, toi qui était si pétillant, si lucide, si intelligent je ne te reconnaissais pas. J’ai eu comme un malaise, je n’avais personne avec qui en parler, je savais que quelque chose n’allait pas, mais quoi je ne le savais pas. J’y ai tant pensé, je n’arrivais pas à comprendre ce que je ressentais. J’ai voulu te répondre sur le champ, mais je ne savais pas quoi te dire, mes pensées n’étaient pas claires, alors j’ai remis au lendemain et puis une semaine plus tard j’ai appris ton suicide. Il y a eu un blanc dans ma tête, quelque chose s’est cassé à jamais. Tu vois ta lettre elle traîne toujours sur une de mes étagères, je tombe sur elle une fois par an environ et chaque fois je pense à toi. Je me demande pourquoi tu n’as pas juste écrit Viens, j’aurais pris le premier train, mais non et maintenant je traîne cette blessure à jamais. Je suis triste parce que je sais que c’est injuste, que tu n’avais pas encore le droit au suicide, tu n’avais pas tout donné, non. Ca je sais que tu le savais mais tu n’étais pas encore assez armé à cette époque là. Crois-moi tu as changé ma vie. Je n’ai pas repris le travail que l’on avait commencé et je ne le pourrais sans doute jamais, tu es trop présent, puis c’était un travail à deux, puis j’ai tourné la page. J’ai passé d’autres épreuves incroyablement douloureuses, j’ai eu envie de baisser les bras plus d’une fois mais bizarrement tu vois, toutes ces épreuves m’ont donné envie de vivre pleinement ma vie, d’accepter les hauts et les bas, le beau et l’horrible. J’ai lu Deleuze, tu sais que lui aussi s’est suicidé mais il a attendu quand même d’avoir 70 ans, et puis il avait décidé de ne plus écrire, juste finir son livre sur Kant et considérer qu’il en avait assez fait. Mais lui il avait 70 ans toi tu en avais 24, c’est différent tu sais. Bien sûr je sais que je ne peux t’en vouloir de t’être suicidé, je commence à l’accepter, pourtant que je t’en ai voulu.
J’ai tout essayé, t’oublier, pas possible, en parler, oui c’est vrai que ça aide, j’ai même manqué aller voir un psy tu te rends compte, rien n’a marché, alors j’ai décidé que pour moi tu n’étais pas mort, tu faisais quelque part partie de moi puisque je ne peux t’oublier. C’est aussi toi qui as fait ce que je suis devenu et comme je ne sais absolument pas ce que c’est j’avance comme je le peux. Tu vois cette petite lettre que je t’écris me fait du bien, peut être que je t’écrirai plus souvent, attends toi à avoir du courrier, dommage que je n’ai pas ton adresse.

Bisous.