MICHEL CASSE "MEDITATION SUR LE NEUTRE
lundi 14 février 2011
par Administrateur- tiphaine
(PNG)

Pastel 2006 Tiphaine-Stepffer

Michel Cassé : Méditation sur le neutre

Les scalpels s’affinent : les micro-projectiles lancés par les accélérateurs géants frôlent la vitesse de la lumière. L’énergie des micro-missiles se compte en dizaines de milliards d’électrons-volts. A de telles énergies, des paires particule-antiparticule ne peuvent manquer de se créer, qui ne font que brouiller les collisions, que l’on voudrait révélatrices, des projectiles élémentaires et de leurs cibles. Imaginez un horloger, d’un genre peu subtil et même un peu fruste, pour les besoins de la démonstration. Une méthode simple et efficace lui vient à l’esprit pour révéler le mécanisme intérieur des montres et pendulettes qui encombrent son échoppe, et qui s’applique à tous les cas de figure. Il se saisit d’une montre et, d’un coup de marteau bien ajusté, fait voler en éclats l’enchevêtrement délicat de rouages et de petits ressorts et les répertorie avec autant de soin qu’il a mis de violence à assener son coup. C’est exactement le principe qu’utilisent les physiciens nucléaires pour sonder le cœur de l’atome et les physiciens des particules pour tenter de faire exploser les structures plus intimes encore qui le constituent. Ils bombardent les protons avec d’autres protons en espérant que deux protons se heurtent avec assez de violence pour se briser (expérience que personne n’est arrivé à réaliser).

Imaginez encore que les gerbes d’étincelles qui naissent des coups de marteau de notre horloger un peu indélicat se concrétisent en myriades de petites roues et menus ressorts, comme par un coup de baguette magique. Comment faire la part des rouages originels et de ceux qui sont apparus sous la violence du choc ? Comment reconnaître les particules constitutives du proton, ou réputées telles, au milieu de la pléthore de particules créées au cours du choc ? Les physiciens des particules y parviennent, certes, mais au prix de grands efforts.

La morale de l’histoire est qu’à trop vouloir détruire on finit par créer. L’horloger perdu dans ses paradoxes, délaissant aiguilles et cadrans, clepsydres et sabliers, appelle à grands cris un philosophe qui passait par là. Laissons- lui la parole : Platon raconte dans Le Banquet qu’à l’origine des temps les êtres naissaient doubles, à la fois mâle et femelle. Ces êtres étaient si harmonieux que Zeus lui-même en prit ombrage et résolut de les couper en deux. Apollon exécuta le plan, tranchant et tranchant sans relâche, mais en vain... « 

Chaque moitié, soupirant après sa moitié, la rejoignait : s’empoignant à bras-le-corps, l’une et l’autre enlacées, convoitant de ne faire qu’un seul être, elles finissaient par succomber à l’inaction et, d’une manière générale, à l’incapacité d’agir, parce qu’elles ne voulaient rien faire l’une sans l’autre. »