RICHARD PINHAS....De Nietzsche à la Techno : Manifeste pour les machines-pensées à venir
vendredi 15 octobre 2010
par Administrateur- tiphaine

RICHARD PINHAS....De Nietzsche à la Techno : Manifeste pour les machines-pensées à venir

Pour une acid-philosophie. Pour une musique synthétique : la pensée électronique

Dans son Zarathoustra, Nietzsche pose la relation d’un « Temps suprême" à un « double silence". Il pourrait exister une équivalence ontologique entre le temps suprême et ce double silence comme il en existe une entre l’Éternel Retour et la Volonté de Puissance. Si tout devenir est littéralement création, et création artiste, si tout devenir est une partie, aussi petite soit elle, de la grande politique, une part active du tractacus politicus, nous nous proposons d’examiner les rapports de Nietzsche à la musique dire « techno" actuelle, et plus précisément comment Nietzsche fait une sorte d’apologie de la métatechno. Laissons-nous divaguer entre un reste de philologie et l’expérimentation musicale au cœur de notre temps.

Le Temps est passage de la Nature, c’est-à-dire distribution des connexions, des nexus, des rencontres d’occasions actuelles. Les événements sont de pures durées qui rendent vers des « moments frontières" (Whitehead, Le Concept de nature). L’événement peut se définir comme une période de temps, la structure des événements est le complexe des événements « liés entre eux par les deux relations d’extension et de cogrédience" (événements au repos dans une durée). Pensée et musique prennent leur consistance dans la Trinité : durées, simultanéités er mutations. La mise en variation continue, la modulation, est le principe de mutation ’propre à la musique.

Chaque récit, chaque séquence de notes possède sa propre ligne de durées, ces durées singulières et connexes qui se percutent dans un nexus, un réseau particulier de simultanéités, l’événement établissant la cogrédience, l’arrivée ensemble, de ces simultanéités : « Notre conscience sensible pose une totalité, objet de discernement immédiat, ici appelée : durée. Ainsi une durée est une entité naturelle définie. Une durée est distinguée comme un complexe d’événements partiels, et les entités naturelles qui composent ce complexe sont de ce fait dites simultanées avec cette durée" (Le Concept de nature). Ainsi les événements sont de pures durées qui tendent vers des « moments frontières ".

L’Homme intégral cher à Nietzsche prend en compte la problématique du temps et du silence, des synthèses et de la technique : toute la logique du Devenir et de la création artiste est « l’absolu flux de l’événement" (Gai Savoir - Fragments posthumes, 11 [118]) : nous sommes des oscillations et des êtres ondulatoires. À Wagner qui a rendu la musique malade, aux mornes créations réactives pour Alien nazis, succède une production sonore du troisième type où la relation homme-machine, organes-silicium va produire de nouvelles musiques techniques comme purs blocs de temps ou cristaux de temps (Maurice G. Dantec reprend l’hypothèse des trois états de la machine à partir de Popper, dans Millenium machines et Le Théâtre des opérations).

Ainsi l’Homme synthétique -le terme est de Nietzsche ¬l’homme de l’extrême modernité (au présent instantané auquel s’adjoignent l’immensité du passé et les synchronicités compossibles et sidérales de l’avenir) en laquelle la différence de l’homme et de la machine s’est estompée au profit de purs blocs de production et ne durée, de monolithes organico-machiniques, techno-biologiques, l’homme synthétique approche déjà la symbiose qu’est la connexion du biologique et du silicium. Le silicium souffre-t-il comme l’artiste, maître des sons ?

Après avoir fait l’apologie de l’homme intégral Versus l’homme chaotique (on se souvient de la phrase célèbre sur le chaos atomique dans les Considérations inactuelles), Nietzsche relie littéralement l’homme suprême, soit l’homme synthétique en devenir, avec le grand style et la Volonté de Puissance, soit l’énergie du devenir en croissance et l’intensification de la vie : « peut-être appartient-il à l’économie de l’évolution de l’humanité que l’homme se développe fragmentairement. C’est pourquoi il ne faut absolument pas méconnaître que malgré tout il ne s’agit que de l’homme synthétique en devenir, que les hommes inférieurs, l’énorme majorité, ne sont que des préludes et des répétitions dont le jeu d’ensemble, ça et là, donne naissance à l’homme intégral, l’homme milliaire qui indique le point limite auquel l’humanité est parvenue jusqu’alors. Elle ne progresse pas en droite ligne : souvent le type déjà atteint se perd à nouveau... Il faut avoir un critère : je distingue le grand style ; je distingue activité et réactivité ; je distingue les surabondants, les gaspilleurs... " (Fragments posthumes, automne 1887, 10 = WU 10 [Ill].

Zarathoustra est l’histoire de cette percée éblouissante vers l’homme intégral et l’homme des synthèses, l’Homme synthétique, comme aujourd’hui toute musique est celle des synthèses modulaires, analogiques ou digitales, synthèses du silence et du temps avec le monde de l’électronique : le bruit de fond du choc des électrons est littéralement la matière première de toute production sonore. Tentons de décrypter les rapports de Nietzsche à Wagner, du temps et du silence vers cette grande envolée biotechnoïde qui transforme la musique du temps en événement éternel. L’ « homme suprême » en serait cette justification, intensification de la vie et croissance des forces, production des événements et des durées inouïes : « Notre compréhension est celle inverse : il faut qu’à chaque croissance de l’homme croisse son envers. Que l’homme suprême, si toutefois un tel concept est permis, serait l’homme qui représenterait le plus fortement le caractère le plus contradictoire de l’existence, comme gloire et justification de celle-ci... » (Fragments posthumes, automne 1887, 10 = WU 10 [110]). 1. Voir à ce sujet les beaux commentaires de Dumontcel in Les sept mots de Whitehead ou l’aventure de l’être.

Richard Wagner s’éteint à Venise en 1883 : la fin de la rédaction du Zarathoustra concorde avec un terrible sentiment de finitude. Peu de temps après, coïncidence : à la veille de son impression, Nietzsche retire à l’imprimeur le manuscrit du quatrième livre. Tout se passe comme si, dans l’intime sentiment de la tâche restant à accomplir le poids le plus lourd,son horloge interne s’accélérait : « Un royaume de nécessité totalement inhumaine se révèle chaque jour d’avantage »Fragments posthumes, 1880). Les jours s’écoulent... Parfois lumineux et semblables à la grande clarté des ciels du Sud, parfois envahis de ténèbres, à quelque chose près . Les maux du philosophe ne sont pas un symptôme, ils disent dans l’homme Nietzsche les feeling de la Terre, ses derniers soubresauts et son abdication prochaine aux puissances monstrueuses et déterritorialisées de la Technique. Mais nous sommes aussi les enfants de la machine et l’éternelle Question de la Technique ne fait plus problème tant nous nous sentons sa légitime filiation : les enfants de Nietzsche et de la métatechno. Nietzsche, Hölderlin, Nerval et Rimbaud, quelques autres encore, sans doute, sont les derniers représentants de l’Homme synthétique et de l’Homme milliaire : l’Homme intégral.

Bientôt surgiront les thèmes célèbres du pont et de l’Homme à surmonter. Puis encore l’éclatement parcellaire des forces de la tekno-science qui feront de nous des pièces et morceaux du savoir, des handicapés de la vie ascendante, des tschandalas : les prolétaires de la cyberzone arrachés à jamais, peut-être, à la puissance du désir et de la voluptas, au rapport unique de l’homme au Cosmos. Les larmes de Nietzsche sont nos larmes à venir : le monde se décroche dans la libération des forces telluriques et surhumaines et le cosmos cède la place à sa virtualisation.

Nous-mêmes devenons une rengaine... et tout le thème des Maîtres de la Terre vient comme pour prévenir, signe terrible, du dernier combat à livrer : le surhomme comme dernier espoir contre le parcellaire et l’oubli, la marchandise et le fétichisme des icônes, le non-humain et le Devenir artiste, réponse à la virtualisation désincarnée. Combattre le grand Oxymoron devenu emblème despotique du totalitarisme de la machine marchandise-spectacle ; l’énoncé « réalité virtuelle" est l’oxymore total auquel doit répondre la guerre « totale" des forces qui sont la vie et l’intensification de puissance. Les forces créatrices. C’est une pensée gaie puisqu’elle suppose, dans un avenir sans doute proche, une alliance à construire entre le plus qu’humain et la machine, entre le réseau et ses créatures, contre l’asservissement, la bêtise et le ressentiment. Il nous reste à parier pour les réseaux déterritorialisés contre la servitude, pour les pratiques multiples contre les morales puritaines alliées au règne de la marchandise et de la Science, enfin réaliser un Devenir artiste et créateur là où se joue la terrible question de la Maîtrise de la Terre. Libérer les forces joyeuses partout où se profile l’instinct mortifère et triste des gouvernants et des experts : le surhomme est la création en acte et le devenir artiste comme devenir de l’univers.

Les hommes supérieurs, appelés aujourd’hui « décideurs" et « experts ", et leurs plus fidèles compagnons, les plus hideux, ont engagé la mise à mort définitive de la planète, et c’est ce qui fait souffrir le corps de l’homme Nietzsche... À ce moment précis de sa vie, le prologue du Parsifal interprété à Monaco est une singulière monade où, refermée en un anneau universel, la puissance comme Volonté s’accomplit en un Cercle d’Or Zarathoustra... suite