DE Q.Q MOUVEMENTS BATAILLIENS par ALAIN ROBINET
jeudi 16 septembre 2010
par Administrateur- tiphaine
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Peinture d’Alain Robinet

Cet affairement, cette affaire, cette histoire de l’œil qui m’occupe depuis 15 ou 20 ans de \ peinture : ni paradoxe, ni pléonasme puisque nous sommes tous des voyeurs, et le peintre plus particulièrement (il est même payé pour cela) ; G. BATAILLE, de façon incontournable, la dénude, la dépouille, la découvre, liée à l’érotisme, à la mort. y enfonce un coin ; volée d’éclats, guenilles et résilles qui laissent (à) désirer, laissant entrevoir les fragments, jusqu’à épurer l’image en signe. Au plus abstrait ? En ce qui me concerne, assurément ; transgressant la figure, en excède la dialectique. Ces quelques lignes ne sont pas une interprétation de plus des avancées de G. Bataille : c’est d’être à Billom, dans la localité où il vit le jour, le bleu du ciel, où l’on respire le premier air, d’ici à là-bas, au nadir du dernier souffle. Ce n’est pas seulement pour cela, d’être billomois, en rupture d’origine pour n’y être jamais revenu, qu’il est inclassable, mais aussi -et surtout - parce que son œuvre est polymorphe, est celle d’un "touche-à-tout" (philosophe, mystique athée, économiste, critique d’art, romancier etc) : le commenter serait plutôt comment faire taire, ce grand irrégulier du langage.

Glissons-nous toutefois parmi les gloses, dans cette économie de la compilation, de la consommation et de la duplication ; en cette époque de ventres mous ’et d’œil glauque l’urgence de Bataille est salubre : dureté, cruauté, obscénité, horreur jusqu’à l’insupportable, mise à nu, mise à mort, ravissement, extase, ce sont autant de points d’accroches, comme des regards croisés. A peine de vue et en pure perte, ce sont d’immenses monochromes, révulsant la peinture, qui consume ses oripeaux. Le globe oculaire, d’un blanc crémeux qui amidonne la carnation offerte et dérobée de « l’Olympia » de Manet, un scalpel vient l’inciser, le fendre en deux, le diviser, l’énucléer ou le retourner vers son siège cortical. C’est un chien, andalou, au bord de l’arène, avant de bondir en son cercle, pour y rencontrer la mort. Toro noir, sable blanc, étoffes rouges, jaunes, mauves, habits de lumière. Les légions d’aurochs, les constellations de bisons sur les parois de Lascaux : rituels de la corrida, brutalement (du sang, des ors), dépense de la peinture (pigments, eau, essence, huile, etc...) à chaque fois pour essayer de penser l’impensable, quelque chose de la part maudite. Ou bien c’est cette photo du jeune écorché chinois, lié au pilori de son supplice, au chevalet du visible qui ressemble à un St Sébastien percé des flèches décochées par le peintre : tous deux si étrangement extatiques. Sommes-nous jamais sortis de la caverne chtonienne, de son pertuis ombreux, archaïque et crypté, du jour où nous les aborigènes de quel futur ? -vîmes le jour, à Billom où ailleurs, à la sortie de l’utérus tandis que les chambres de nos musées, à l’image de Lascaux, se tapissent de toujours plus de peintures, alors que nous voulons taquiner les étoiles ? Le potlach n’est plus là, dans la convention de l’an, vidé - oté de sa part (vidéo) de don, il s’est déplacé du côté des foires universelles (à Séville s’inachève "l’Histoire de l’œil") ou de quelques jeux olympiques à partir d’une vision satellitaire, mondiale : la planète tréteaux. L’œil, blanc, est révulsé vers la boîte crânienne, la glande pinéale : a-t-il jamais regardé ailleurs, malgré les avatars des néo et pseudo-réalismes de la perspective ? N’a-t-il jamais rien envisagé d’autre que les images pariétales de la cosa mentale, d’avant, d’après la naissance ? Tauromachie impitoyable pour les capturer, en capter les mouvements dansés ou convulsés qui viennent se briser, se refléter sur le bijou de l"’Olympia", le diamant infracassable, l’ex de lynx, c’est-à-dire le sexe. Le globe oculaire (ovulaire) a pour paupières, alors, les grandes lèvres d’une vulve dilatée, fixement hallucinée, démesurément médusante, inter faeces et urinam. Dénudation, nudité jusqu’à l’obscène de la tache (macula) aveugle où se dissolvent, s’y résilient les limites, où l’entendement touche à son point d’éclatement ; rassemblé en un point, il se dissémine à l’excès, jusqu’au ruissellement lumineux, solaire, retentissant des éclats de rire de Dionysos, redoublés par ceux de Nietzsche : Déchirement sans objet, forme sans forme ; entre les lignes de failles s’affirme la fracture du sujet, confronté et affrontant la mort-toro dans l’immensité radieuse, déserte, au-dessus de laquelle s’est refermée la paupière de Dieu. Le sens étant épuisé, le langage démuni, il ne reste plus que cette circulation du rire, souverain et (parce que) multiple, à la surface du sable, ou, parmi les grouillements hirsutes Comme est divisé le regard, partagé entre une vision centrale, ou globale (celle des cônes ou tache jaune) et une vision marginale périphérique, ou locale (celle des bâtonnets) dans le même instant, le portant au vertige, le disséminant, le condensant : ligne dansante et éphémère. C’est la nuit circulaire de l’iris, nécessaire pour qu’il y ait ouverture, inauguration, perte et dépense, dans l’inachèvement de ces échappées qui sont des peintures, des passes multiples pour un coup d’œil.

Failles, fêlure : fascination pour ces terraquées humide ou sèche du chaos des matières où s’élisent, se lisent incomplètement, non pas les structures frigorifiée d’une géométrie consolatrice, mais les lignes de force tenues, instables et tecnoniques, traces et traque d’un désir sans trêve, d’un paysage mental, qui du sol, se verticalisera au mur, en combinaisons aléatoires, déclinaisons polysémiques transitant depuis la partition d’un continuum, relève de, révélant l’insignifiant, la nudité dans ce sens, non plus d’une origine enfouie sans tant d’amoncellement (ou de décombres) ait qu’un palimpseste (métaphore toujours remise, reprise à chaque travail qui est chaque fois une expérience, autre et insistante, un entêtement acéphale, y revenant sans cesse, selon l’énergétique butée de la spirale...

C’est ce que j’essaye d’enquêter depuis quelles dizaines d’années connaissant plus le doute que l’assurance, en compagnie de Bata sous les traits d’une petite chouette daimonique, sur l’épaupre...

Mai 2002 - Alain Robinet.,