JACQUES BROWN - 1918-1991
mercredi 25 août 2010
par Administrateur- tiphaine

La liberté : polyester

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Jacques Brown

1918-1991 James, dit Jacques, Brown naît en 1918 à Paris des œuvres d’une mère anglaise et d’un père américain. "Le jeune soldat, rentré aux Etats-Unis, laisse Béatrice Brown seule à Paris avec son fils. Contrainte de faire des ménages pour survivre, la jeune femme se retrouve employée de maison auprès de la famille Latouche. La vivacité intellectuelle, la jovialité, le sens de la répartie de son enfant séduisent le maître de maison. Jacques devient le fils qu’il n’a pas eu et reçoit une éducation bourgeoise. Il suit des cours de droit et obtient son diplôme de sciences politiques à l’IEP de Paris. Il devient fonctionnaire au ministère des Finances en 1942. Mais déjà le jeune homme est attiré par le dessin. En suivant en auditeur libre les Beaux-Arts, Brown croque à la mine de plomb des portraits, des bustes et des nus académiques et peint de très expressifs polychromes à l’huile sur bois. Autodidacte. Séduit par le catholicisme, influencé par Kierkegaard (Ou bien. Ou bien), Brown trouve là sa pitance existentielle. Lui, le fils aux origines mal démêlées, se questionne. Sa quête le conduit vers l’ intelligentsia psychanalytique (Francis Pasche, Nascht). Leurs mythes influenceront son univers. Œdipe, christs, mères toutes-puissantes : autant de figures que Brown laissera jaillir dans son œuvre. Ces préoccupations l’éloignent inéluctablement de son travail au ministère. Le fossé se creuse. Brown se dit habité.

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« La Vierge »/ Polyester, pigments, résine / hauteur,4 mètres

En accord avec son épouse (trois enfants naîtront de leur union : Frédéric, Caroline et Thomas), il quitte la fonction publique. Il s’impose alors un étrange programme : peindre et sculpter des êtres. Animaux mal dégrossis, chats énigmatiques, hiboux sibyllins, humains pré-adamiques, figures larvaires sont autant de personnages singuliers qui peuplent son monde intérieur. Reste à trouver la matière. Jacques explore. Entre 1947 et 1952, il réalise des sculptures en plâtre, en bronze. Il aborde la lithographie et la lino-gravure. La mansarde dans laquelle il travaille paraît bien petite pour laisser libre cours à ses expérimentations. Le couple s’installe alors dans un atelier, rue Duret, situé entre l’avenue Foch et l’avenue de la Grande-Armée. Cet espace lui permet de réaliser ses gigantesques sculptures. Les murs de la maison sont exploités. En 1951, il enduit de goudron un mur et grave des scènes bibliques, directement inspirées de son travail de linogravure. En 1954, Brown, alors heureux possesseur d’une Bugatti, reçoit une étonnante commande de son garagiste. Un avocat souhaite se voir dessiner une carrosserie originale à monter sur un châssis type 57 (un véhicule des années trente). Jacques relève le défi. Le prototype se distingue par ses lignes fuyantes et épurées - on songe à une matérialisation de la « Turbotraction » imaginée par Franquin à la même époque ou aux derniers modèles de Jaguar actuels -, mais la véritable innovation de Brown sera de réaliser cette perle en polyester, à deux exemplaires.

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Etienne Martin écrase l’envie/la médiocrité/polyester 250X120X80

L’allégement de l’engin est sensible : 250 kilos, et le gain en vitesse à l’avenant. La presse salue le sculpteur derrière le designer. Le sculpteur, lui, à enfin trouvé son médium de prédilection. Le polyester : voilà la rencontre décisive. Ce tissu de verre durci par injection de résine se révèle translucide et on peut le teinter. Structure, lumière, couleur : de quoi combler et le peintre et le sculpteur. Ce matériau révolutionnaire, qu’il travaille en précurseur, permet à son univers de prendre vie. En 1956, Brown expose au salon de la Jeune Sculpture, dans les jardins de Bagatelle, un christ en stratifié. La face en est monstrueuse. Ses yeux semblent des soupiraux rectangulaires, sa bouche est béante. D’après Yonne Haagen, qui signe un portrait flatteur du sculpteur dans l’International Herald Tribune du mardi 30 avril 1957, ce christ « est éclairé par l’arrière, ce qui lui donne une translucidité. Ce monstre terrifiant pendant le jour se transforme en une pièce d’une formidable beauté religieuse la nuit est directement exposé au regard de ses voisins de cour. Mais ceux-ci n ’ont pas osé s’en plaindre trop dans la mesure où M. Brown leur a diplomatiquement demandé auparavant si cela devait les importuner. Aucun enfant n ’est mort de peur jusqu ’à présent. » Pourtant, l’œuvre effraie l’adulte Robert Joffet, conservateur en chef des jardins de Paris, qui juge, au grand étonnement de Jacques, qu’elle « ne convient pas au climat du parc » et obtient son retrait, avant même le vernissage de l’exposition (France-Soir, au juin 1956).

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L’Orateur

Qu’importe, des hommes vont croire en Brown. Ils se présentent : Étienne Martin, le sculpteur académicien, Michel Tapie, le passionné d’art informel qui le promeut à travers le monde, et Claude Givaudan, le mécène suisse qui coulera dans le bronze ses grandes sculptures. Ses nouveaux protecteurs le confrontent aux plus grands artistes internationaux, de Milan à Zurich, de Bruxelles à New York en passant par Tokyo. En 1958 le galeriste Rodolphe Stadler lui propose d’organiser sa première exposition personnelle. Il présente ses peintures sur velours. Le succès éclate. Peggy Guggenheim lui achète la Petite Nuit d’une couturière, une peinture sur velours de 129 x 90 cm. L’artiste a le vent en poupe. La galerie Mayer de New York lui propose une exposition personnelle. Mais en 1960 l’explosion du pop art porte ombrage à son travail. Les amateurs boudent Jacques est déjà ailleurs. À cette époque une seule idée le hante : créer son « théâtre des Coquilles », directement inspiré des terrifiantes visions d’Ézéchiel et notamment de la Maasse Mercava, le char de Dieu entouré de ses chérubins difformes, à la fois hommes, taureaux, aigles et lions, symbole par excellence de la totalité divine et de la complémentarité des « sens », à savoir la parole, l’ouïe, la vue et l’odorat. C’est précisément à la naissance d’un art total, associant sculpture, peinture, musique (il prend contact à cet effet avec Xenakis) et théâtre, que tendent les efforts de l’artiste. En 1968, le Centre national d’art contemporain le choisit pour figurer à son exposition inaugurale. Brown est à ce moment considéré comme l’un des artistes majeurs de sa génération.

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L’Ange / bronze/ 1,70 mètre

La notoriété l’étrangle. À l’écart de la génération pop, absent des mondanités artistiques, loin de tirer parti de sa reconnaissance, il fuit. Le nœud coulant du quotidien lui donne des idées noires. Brown est de moins en moins enclin à se produire en public. Son œuvre, elle, continue de parler pour lui. Les expositions se multiplient : en France, en Inde, au Luxembourg, au Mexique, en Nouvelle-Zélande, au Venezuela, en Yougoslavie... Entre 1969 et 1975, Brown subit de plein fouet les effets délétères du polyester. De graves problèmes nerveux l’affectent. il sombre dans la dépression. Le rideau tombe sur son projet de théâtre. La peinture maintient malgré tout le lien avec son univers quasi cabalistique. Il noircit parallèlement de gros cahiers de comptabilité, entre journal de bord et « bandes dessinées » intimes. Il y déverse maniaquement ses fantômes en un gigantesque inventaire inlassablement remanié. Les figures ectoplasmiques qui l’ont toujours hanté jusqu’à l’étouffement semblent trouver là un ultime exutoire, un havre où mener leur existence propre selon les règles de leur cosmogonie primitive. Il exposera encore au salon de Mai, puis à la galerie l’Œil-de-bœuf à Paris et chez Gilbert Brownstone. En 1983, Claude Gîvaudan, mécène indéfectible, organise pour lui une grande exposition rétrospective à Genève. Une de ses peintures sera acquise par le ministère de la Culture en 1985. Mais depuis qu’il ne peut plus travailler le polyester et depuis la disparition d’Edith, sa femme, en 1983, Jacques Brown semble s’enfermer dans l’univers de ses personnages. Il cesse définitivement de peindre à la fin des années 1980, quelque temps avant de s’éteindre à son tour, le 21 décembre 1991. Mlle Brown

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Vue partielle de l’atelier : Le Char Capricornien/polyester/résine/pigments 400X400X140

Remerciements à Thomas Brown pour l’organisation de la visite de l’atelier de son père et à notre conseiller Rodolphe Stadler (qui organisa la première exposition personnelle de Jacques Brown à la Galerie Stadler en 1958).