SéGOLèNE PASUTTO
lundi 5 avril 2010
Rafraîchir des visages et leur enlever ce goût de terre de la bouche et aussi adopter des défunts par deux fois orphelins parce que pour certains trouvés au hasard d’une brocante. Sans passé, ils gisent à moitié nus, leur intimité jetée au milieu d’une table sans que personne ne les réclame. Ségolène Pasutto
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« En fait, je voulais que ça raconte une histoire et c’est pour ça que plein de gens se sont sentis touchés et se sont reconnus. C’était presque comme si c’était leur famille. Ils reconnaissaient des objets qui appartiennent à l’histoire familiale. Il y a eu beaucoup de personnes âgées qui sont venues me voir et qui étaient bouleversées. Les gens ont besoin de rendre un hommage à des proches qui ont disparu. C’est une façon aussi de préserver les défunts de la destruction, de les rendre immortels par le biais du verre et de l’image inaltérable qui les protègent. C’est un travail basé sur la mémoire collective. Le film « La chambre verte » de François Truffaut a influencé mon travail.

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Les objets sont très importants dans ma vie. Dans ma famille, on m’a toujours donné des objets. Mon grand-père Gérard (cf. : peinture) était peintre. Après sa mort, on m’a donné sa casquette et sa boîte de peinture. On m’a toujours donné les objets familiaux pour que je sois le réceptacle, la mémoire de la famille. C’est comme si j’avais un devoir de mémoire vis-à-vis de ma famille. J’ai toujours eu envie de travailler sur le verre. Le travail sur la mémoire était nécessaire et d’ailleurs, il y a un lien entre la technique et le travail sur la mémoire. J’utilise une technique mixte et j’emploie des couleurs doré et rouge pour rappeler les icônes byzantines. Adolescente, je travaillais déjà sur l’idée de la transparence et l’utilisation du verre est comme une protection pour moi. Je voulais prendre des images familiales pour en faire quelque chose de sacré.

« Raconter une histoire vraie et inventée » :

par françesca Nouët

Rafraîchir des visages et leur enlever ce goût de terre de la bouche et aussi adopter des défunts par deux fois orphelins parce que pour certains trouvés au hasard d’une brocante. Sans passé, ils gisent à moitié nus, leur intimité jetée au milieu d’une table sans que personne ne les réclame. Alors, les embarquer dans une autre histoire que celle de l’abandon pour les sauver, pour les rendre à eux-mêmes, pour qu’ils aient une autre chance de se dire, de se raconter au sein d’une famille qui les reprend à l’oubli, au silence. Mêlés secrètement aux autres, ils font partie de cette famille, de cette mémoire collective. D’ailleurs, ici, ça n’est pas un cimetière malgré tous ces défunts. On se croirait dans une veillée comme dans « La Chambre Verte » Tous ces visages. Le regard ne peut s’empêcher de les embrasser comme un feu ardent qui répond à cette flamboyance, à l’intensité de cette lumière autour d’eux. Pris, épris, tendres captifs de l’iris qui les contemple, qui les berce et entame à chaque fois ce dialogue avec l’invisible. Ici, la mort s’est arrêtée parce qu’elle est dépassée dans cette mise en scène, dans cette mise en vie qui permet la revendication. Il ne s’agit plus de la mort mais de cet or autour d’eux, de cet incendie qui les purifie.

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