CÉLÉBRONS les FEMMES
CLAUDINE HERRMANN "Les voleuses de langue"
Editorial"FEMMES"
lundi 15 mars 2010
par Administrateur- tiphaine
Que la pensée de l’homme reflète l’ordre de structures qui lui sont extérieures, cela est possible, mais, au malaise qu’elle éprouve à les contempler, la femme sait bien que celles-ci lui sont parfaitement étrangères.

Si la pensée féminine a toujours été occultée, par contre la pensée virile sous toutes ses formes est imprimée dans les apparences du monde. Elle est inscrite dans les choses, dans les formes, dans l’art, dans la pensée, dans les différents systèmes sociaux, avec l’inlassable persistance qui caractérise les enfants sûrs d’être approuvés par leur mère. Et la première fonction exigée de la femme, n’est-elle pas celle-ci : approuver ? Pas d’assassin, pas de bourreau concentrationnaire, pas de monarque dégénéré qui n’ait trouvé d’épouse, le plus souvent dévouée, et aucun tribunal n’a jamais posé cette question : Pourquoi n’avez-vous pas quitté cet homme ? Lorsque la femme pénètre enfin - et toujours de biais ¬ dans ce mystérieux monde viril dont elle a été si longtemps exclue, siège de tant d’aventures merveilleuses contées dans les livres et les films, entouré par l’aura d’une culture si longtemps défendue, elle est frappée par le fait que l’abstraction y domine sous deux espèces : le système et la hiérarchie. Que la pensée de l’homme reflète l’ordre de structures qui lui sont extérieures, cela est possible, mais, au malaise qu’elle éprouve à les contempler, la femme sait bien que celles-ci lui sont parfaitement étrangères. TI est remarquable par exemple que le premier sens du mot système, défini par le dictionnaire Robert, soit celui-ci : « Ensemble organisé d’éléments intellectuels. » C’est seule¬ment le deuxième sens qui donnera : « Ensemble possédant une structure ou constituant un tout organique. > La première acception est mentale et abstraite, c’est seule¬ment la deuxième qui vise la réalité objective, telle qu’elle se comporte en dehors de la vision de l’homme. L’homme se préfère à ce qui l’entoure au point de faire passer ses catégories mentales avant celles de la réalité objective. On ne manquera pas cependant d’objecter que si les structures de la matière sont homologues à celles de l’esprit, le mal n’est pas grand : placer l’un avant l’autre revient à une simple question de préséance. Mais cette préséance, cette manière de se placer avant est précisément ce qui caractérise - non pas seulement la pensée humaniste chrétienne - mais bien la pensée virile tout entière. De cet acte premier découle une vision du monde, celle qui précisément distingue l’homme de la femme. La femme, en effet, toujours obligée de tenir compte d’autrui, et aussi d’une réalité matérielle à quoi elle échappe moins facilement que l’homme, ne peut que penser un cosmos dont elle n’est pas le centre. Ceci est la cause de bien des échecs, lorsque, sans préparation autre que technique ou scientifique, elle pénètre dans le monde des hommes. Tout l’étonne : la prolifération des systèmes, économiques, politiques, juridiques, intellectuels, dont chacun se croit déterminant et d’où seule la vie est exclue au profit d’un modèle qui élimine ce qui ne lui est pas conforme. Dans ce grouillement s’agitent des hommes dont on se demande le plus souvent pourquoi ils occupent une place plutôt qu’une autre, sinon qu’ils y ont été propulsés par cette puissance pathologique semblable à l’homme car, sourde à toute raison, elle ne s’occupe que d’elle-même : la société. Dans ce monde où chacun s’avance invisiblement masqué, la femme s’imagine qu’enfin elle va pouvoir retirer son voile, mais qu’elle prenne bien garde : ici, elle va perdre ses dernières illusions. Ce mystère viril qui l’intriguait tellement et sur lequel on lui a tant appris à rêver, auquel on l’a élevée à complaire, n’est autre que, déguisé jusqu’ici par le désir ou le conformisme familial, l’incapacité absolue d’aimer autre chose que soi ou que ses possessions (les femmes et les enfants en faisant occasionnellement partie). Le travail le plus désintéressé en apparence n’est qu’un empire qui se crée avec un nouveau maître, et pour construire ses nouvelles pyramides, chacun cherche ses esclaves. Les femmes seront donc souvent les bienvenues. On rira tout bas de leur acharnement à poursuivre un but qui ne leur rapporte rien, à réussir encore à aimer ceux qui les exploitent et surtout à croire en l’immense armure sociale qui a le privilège de donner une apparence utile et vertueuse aux calculs les plus éhontés. Si la femme reste elle-même, continue à penser en termes d’harmonie et non de lutte, de don et non d’échange, elle se fera impitoyablement écraser. Si elle adopte les valeurs viriles en cours, la sécheresse et l’impérialisme, elle réussira au prix de sa propre destruction et elle ne manquera pas d’éveiller l’ironie. Ce qu’elle gagnera sur le plan social, elle le perdra sur le plan privé. Laisser les femmes participer à la société n’est rien si cela consiste à les spolier de ce qui les rend différentes (...)

III