LE VOLUME BLEU ET JAUNE/// INTERVIEW du Février 2011, au 44 rue des vinaigriers, 10ème arrondissement, Paris.
Projet, defis, concept d’architecture a la VILLA MEDICIS
dimanche 28 février 2010
par Administrateur- tiphaine

LE VOLUME BLEU ET JAUNE

Février 2011, 44 rue des vinaigriers, 10ème arrondissement, Paris. La petite demoiselle que nous suivions à New York, passe aujourd’hui la grande porte en fer forgé de cette mystérieuse adresse. Elle s’engouffre dans la cour, et demande à la gardienne, qui est sur le pas de sa porte, les bureaux Programme. La concierge lui répond avec un fort accent espagnol que c’est au fond de la cour à droite, ordonne à son gros labrador « Marzo » de rentrer à l’intérieur de la loge, el une fois le chien dedans, elle rentre et ferme la porte derrière elle. La jeune femme vêtue d’un grand et chaud caban de marin remonte son col, remonte la bretelle de son sac où s trouve son ordinateur sur son épaule droite, et se dirige vers le fond de la cour. Elle trouve la bonne porte el sonne à l’interphone Programme. Quelqu’un lui ouvre sans rien lui dire, elle monte. Au premier étage sur le pas de la porte se tient l’homme qu’elle est venue voir. Il lui dit chaleureusement bonjour el la fait entrer dans les bureaux. Il lui fait passer la première salle et lui fait gravir quatre ou cinq marches à droite qui mènent vers une deuxième el dernière pièce. Accrochée sur le mur du fond de cette salle se trouve une guitare Siraiocaster Fender noire, elle la reconnaît, son ami a presque la même. À sa gauche, trône majestueusement la chaise longue de Charlotte Perriand, elle souri intérieurement. Le monsieur l’invite à poser ses affaires sur la première grande table sur sa gauche. Ce sont en fait de grand plateaux en bois posés sur tréteaux. Elle aime bien l’agencement de la pièce et les meubles qui l’habitent, notamment aussi les lampes Jieldé, qu’elle n’a pu s’empêcher de remarquer.

Le monsieur lui propose un café en lui faisant signe de s’asseoir, elle s’exécute et lui dit oui. Elle est assise dos à la caméra. Il vient s’asseoir en diagonale à sa gauche, mais se tourne face à elle, et pose les deux tasses devant eux. En attendant, elle a sorti tout son attirail. Elle est prête. Elle lui fait signe qu’il peut y aller, il lui raconte son histoire.

« Puisqu’on me demande quelle est l’histoire de cette exposition du Volume Bleu et Jaune, en fait qui n’est pas qu’une exposition mais qui a été le résultat exposé d’un travail qui a duré presque une quinzaine d’années, on peut partir de l’école des Beaux Arts à Paris dans laquelle un groupe d’élèves s’est trouvé confronté dans les années soixante, soixante-cinq et même juste un peu avant soixante-huit, à cette espèce de difficulté de créer et de penser l’espace en d’autres termes qu’une image, particulièrement une image en plan, qui faisait l’objet de tous le savoir faire des gens des Beaux Arts, à savoir des dessins, des rendus - ce qu’on appelait les rendus - dont la qualité principale outre le dessin, était le formalisme. Ce qui faisait qu’on se trouvait dans des expositions de projets où par exemple il y avait une analogie formelle entre le sujet et le plan. Par exemple un marché aux fleurs, on avait des formes de pâquerettes, des trucs comme ça. Et puis s’est posée la question qui ne date pas d’aujourd’hui, ni des Beaux Arts, ni de cette époque là, de savoir comment on peut parler de l’espace en terme transmissible. C’est-à-dire ne pas se contenter de dire : « Ô !

Cet espace est très sympathique » ou, au contraire « C’est détestable » etc., mais qu’est-ce qui fait qu’un espace a des qualités. Alors on en connaît des qualités de l’espace, on connaît la longueur, la largeur, la hauteur, ça ce sont des qualités transmissibles et qui ont une vertu c’est d’être contractuelles, c’est-à-dire que les centimètres, les mètres, les kilomètres éventuellement, sont des choses mesurables et qu’on peut transmettre à tout un chacun en tous points du globe et qui font que l’espace a une certaine qualité dimensionnelle. Mais parler de l’espace en terme de matière, de matière palpable ou évaluable, comme dans la peinture, ce qu’on appelle la plastique, était une véritable difficulté. En tous les cas c’était une difficulté pour ce groupe d’élèves. Ce groupe d’élèves, qui était formé de plusieurs ateliers, en fait, qui contestaient un peu le système du patronat et l’ancien système, s’est penché ou s’est résolu à travailler sur certains sujets. Une synthèse importante a été réalisée donc, à Rome, par hasard parce qu’un de ces élèves a été nommé à Rome, et un atelier a été utilisé pour tenter d’en faire un relevé èxhaustif de tous les phénomènes lumineux et chromatiques qui s’y passaient.

Avant Rome, il, y avait déjà eu des essais qui avaient été réalisés aux Etats-Unis par le même groupe, dont la taille variait en nombre et en participants au gré des aventures des uns et des autres, et également dans la région parisienne en tentant de qualifier par exemple des terrains, des choses comme ça, de savoir analyser ce qu’on voyait, ce qu’on ne voyait pas, quelles étaient systématiquement les dimensions qu’on pouvait introduire dans la composition du dessin qui étaient d’outres dimensions que les dimensions pures du terrain par exemple, ou la surface du terrain, ou sa densité, ou ce qu’on appelait le COS (coefficient d’occupation du sol). Alors cette première synthèse, et importante synthèse, qu’on avait appelé le Volume Bleu et Jaune, en référence à des travaux très antérieurs, bien plus célèbres que celui-ci, qui émanaient en particulier de Mondrian. On l’a appelé bleu et jaune, parce que le bleu monte toujours sur le jaune et que c’était une facilité de travail pour nous, puisque on s’est mis à peindre les phénomènes lumineux et dimensionnels de cet espace pratiquement dans les trois primaires, sur les murs, au sol et au plafond. Les trois éléments constitutifs qu’on a pu modéliser, ce sont des choses dont on a retrouvé sans arrêt la trace, y compris dans l’antiquité. Mais ces traces dans l’antiquité ou au cours de l’histoire, étaient simplement la preuve que les gens sont confrontés aux mêmes problèmes.

C’est-à-dire que la physiologie de la perception de l’espace ramène toujours à peu près au même problème : Qu’est ce que je vois ? Qu’est ce que je ne vois pas ? Est ce que je suis dans un couloir dans lequel on me voit ? Est ce que le soleil y passe ? Et des choses comme ça. Sauf que cette fois-ci c’était l’objectivé de telle manière à ce que ça puisse anticiper pratiquement les relevés et les outils contemporains qui sont l’informatique. Alors les trois éléments, pour faire simple, qui ont été relevés, se situaient dans un espace avec des fenêtres. Le premier relevé était celui des angles morts. Pour relever les angles morts on utilisait un petit miroir pour savoir à partir de quel moment on ne voyait pas en dehors. Alors ça donnait des géométries très particulières pour une fenêtre, mais combiné à l’angle mort d’une autre fenêtre ou d’une porte ou d’un châssis haut dans la toiture et bien ça donnait une combinatoire très riche, dans laquelle il y avait des espaces dans lesquels on ne voyait nulle part, des espaces dans lesquels on pouvait voir à travers deux fenêtres ou une, et la condition et le résultat c’était que c’était répertorié, c’est-à-dire c’était analysé. Le deuxième élément qu’on a mis en valeur, qu’on a essayé de relever et qui a été fait ce sont les transparences. Par exemple entre deux fenêtres, quand je suis à l’extérieur et bien si les deux fenêtres sont alignées avec mon regard, je vois de l’autre côté du bâtiment. Ce qui fait que quand je suis à l’intérieur du bâtiment et dans ce couloir, je peux voir des deux côtés de la fenêtre. Ça veut dire en terme plus vulgaire, que si quelqu’un tire au fusil à travers les fenêtres et bien le projectile traverse le bâtiment. Et donc du coup, il y a plusieurs transparences possibles dans un bâtiment qui a plusieurs ouvertures et la combinatoire de ces transparences faisait qu’il y avait une géométrie interne très particulière, parfaitement mesurable, donc c’était ça qui nous intéressait, et on pouvait dans cette zone là - qui est un prisme assez complexe qui était la résultante des autres prismes - dire qu’on se trouvait dans deux ou trois transparences ou zéro transparence du bâtiment.

Alors évidemment, par exemple pour les transparences on peut comprendre, comme pour les angles morts, une qualité. C’est-à-dire que si je ne veux pas être vu, ce qui est tout a fait naturel, ce que l’on fait depuis la première hutte, la première grotte, et bien je mets dons un coin de telle manière qu’on ne me voie pas. Mois là c’est transformé en outils, qui renversés deviennent opérationnels. C’est-à-dire que si je veux foire un bâtiment à partir duquel je veux des zones dans lesquelles je ne peux pas être vu et bien je peux utiliser une méthode métrique qui résultait de ces relevés là qui faisaient que là je ne verrais pas, je ferais une fenêtre qui aura une forme telle que je ne pourrais pas voir. Le dernier élément qui a été introduit, c’est la lumière naturelle, si je prends l’exemple de l’angle mort, et bien le soleil qui se promène à l’extérieur à un moment donné va rentrer dans le bâtiment et puis à un autre moment donné il ne rentrera pas car il sera confronté à la géométrie précédente, dont on a parlé tout à l’heure, qui est l’angle mort. Et donc le soleil n’y rentre pas.

C’est intéressant parce que le soleil est éphémère dans une géométrie donnée, perce qu’il bouge avec le temps, et que à un moment donné par exemple à travers d’une fenêtre, le soleil créait un faisceau lumineux, Si ie met ma main dans la lumière, ma main est éclairée et si ie retire ma main, elle passe un plan, disons virtuel, qui passe de la lumière à l’ombre, Sauf que ce plan là bouge, Alors on a fait le relevé systématique de la somme de ces volumes, pour une journée donnée, pour une saison donnée, pour une altitude et pour une latitude donnée, en l’occurrence c’était Rome, et c’était les équinoxes et les deux solstices, résultant en un volume lumineux du parcours de toutes les ouvertures, du soleil au travers de toutes les ouvertures, qui également se combinaient, Alors on s’est rendu compte que la combinaison de choses qui étaient déià complexes - à partir du moment où il y avait deux/trois ouvertures - qui étc ;1ient les angles morts, les transparences et les cours lumineux, on arrivait à des modèles très complexes,

Et c’est là qu’on s’est posé la question de savoir comment on pouvait gérer la complexité et effectivement on était à l’époque au seuil de l’utilisation systématique des outils informatiques et on a tenté de régler ces synthèses là au travers de ce qu’on a appelé, décrété peut-être d’une manière arbitraire, les images de synthèse, En fait ces images de synthèses étaient faites à la main, Elles étaient construites en géométrie sphérique, C’est-à-dire qu’on utilisait, non pas des distances métriques dans un système orthonormé, mais les distance angulaires puisque finalement l’angle c’est ce que l’œil perçoit, Par exemple si ie vois quelqu’un s’approcher vers moi et bien il a un certain angle quand il est très loin et plus il s’approche - pour une hauteur constante de l’individu - l’angle s’ouvre, Dans la réalité de la perception, l’important n’est pas tant la hauteur de la personne que l’angle qu’elle génère par rapport à mon œil, Notre travail a été très critiqué parce qu’il n’a peut-être pas été bien compris, parce qu’effectivement ce sont des évidences, sauf que des évidences mises sous forme d’outils est la règle qui devrait présider, en particulier pour nous architectes, enfin c’est ce qu’on pensait, dans la composition architecturale ou tout simplement pour l’acte architectural.

Dans l’antiquité ou dans le passé, on avait des méthodes opératoires, on avait des discours sur la technique ou un savoir faire oral, transmissible oralement, mais il n’y avait pas d’images, il n’y avait même pas de plan, C’est-à-dire qu’on peut même imaginer que les grands temples Grecs - on sait qu’il y a des petits modèles en terre, qui sont d’ailleurs, d’une façon orthonormée, faux, mais qui étaient suffisants étaient construits sans plan, avec une géométrie parfaite. Sans image, sans plan, on arrive à construire, donc c’est qu’il y a des méthodes, Jusqu’au haut Moyen-Âge, où on a commencé à dessiner, notamment les militaires et les cartographes, Et les conquêtes géographiques ont amené les sociétés à mesurer en plan, et à créer des plans qui correspondaient à des quantités, Donc les plans se sont quantifiés et l’architecture a bénéficié de ces progrès là, Ce qui fait que pendant des siècles, le plan a été un des apanages de l’architecture, comme seule image valable, à part les représentations peintes, avec encore, depuis l’antiquité jusqu’à ces périodes là, la grande surprise quand on voit le bâtiment construit, parce qu’on ne sait pas à quoi il va ressembler, sauf à projeter soi-même, par sa compétence, par ses connaissances, sa propre idée de ce à quoi le bâtiment que l’on dessine va ressembler,

Mais à priori la perception finale du bâtiment n’est possible que quand le bâtiment est réalisé. Pour aller vite, aujourd’hui on est dans un système complètement inverse, on veut savoir à quoi ressemble le bâtiment avant de l’avoir quasiment c.composé, 1/ y a une primauté de l’image, et ce n’est pas qu’en architecture bien entendu, qui peut éventuellement faire fi d’une méthode, Et c’est ça l’inversion que nous anticipions, ou en tous les cas on le voyait comme ça, Les gens du Volume Bleu et Jaune voyaient très bien qu’on allait rentrer dans une société dans laquelle la valeur image contenait toutes les valeurs, avec un certain nombre de dérives qui sont visibles par chacun aujourd’hui. Mais on est peu informé par exemple, de tel ou telle qui construit des images magnifiques, qui sont des métaphores, par exemple on construit un musée en forme de coquillage parce qu’il est au bord de la mer, et on construit un bâtiment en forme de coupole parce qu’il fait très chaud, voir de « sombrera » pourquoi pas, qui produit en fait dans la troisième dimension ce que les Beaux Arts avaient connu. A savoir, une approche formelle que l’image est chargée de prendre en compte. Alors le Volume Bleu et Jaune évidemment, était un travail qui s’opposait avec véhémence à ce genre de positionnement. »

Il rapproche alors un bouquin qui était déjà sur la table et auquel elle n’avait pas prêté attention. Il lui laisse entre les mains en lui disant que les images qu’il contient l’aideront à mieux comprendre le projet dont il vient de lui parler. Elle l’ouvre, la caméra passe par dessus son épaule et zoome sur le livre ouvert de façon à avoir la double page en plein écran. Fondu au noir.

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Après la publication en 1970 du rapport de la Commission Ministérielle de la Recherche Architecturale des travaux ont été réalisés de 1972 à 1974 dans le cadre de l’Académie de France à Rome qui est régie par les dispositions du décret du 16 septembre 1970 et suivants. Ils ont été présentés en une première exposition publique pour être soumis aux instances habilitées dans les salles de la Villa Médicis du 21 juin 1974 au 14 juillet 1974. Ils ont fait l’objet d’un rapport au Secrétariat d’État à la Culture et au Ministère de l’Équipement. Le 27 novembre 1974 ils ont été communiqués à l’Académie des Beaux- Arts de l’Institut de France. A la suite de ces examens les organismes concernés ayant estimé que ces travaux avaient un caractère particulièrement original ont pris la décision d’en diffuser les résultats en organisant leur exposition aux Galeries Nationales pour les rendre publics. Les travaux présentés tentent d’approcher l’étude de la forme construite fondée et pratiquée. Ils s’appuient sur les éléments suivants : La lumière donne accès à l’espace dans lequel les formes sont perceptibles. La forme est abordée à l’aide des volumes virtuels que sont : les espaces en angle mort les couloirs de transparence les corps lumineux qui constituent un langage plastique informant sur l’espace en tant que milieu d’évolution. Les ensembles considérés permettent l’élaboration d’Images de synthèse ayant une définition géométrique précise. " Le Volume Bleu et Jaune ", qui est le nom de l’exposition et le titre de ces travaux, est un lieu couvert dans lequel la prise en considération de l’espace a été effectuée par des marquages colorés sur les parois internes. Cette appellation trouve son origine dans les deux couleurs dominantes qui ont été employées pour approcher et marquer l’espace dans ce lieu.

28 ans après la présentation de ces travaux à Paris au Grand Palais, l’espace Tiphaine Bastille propose de redécouvrir cette exposition événement.

Texte - manifeste dans la revue TOC TOC TOC du mois d’avril-mai 2003.

Vue en direction de l’angle Est

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Vue en direction de l’angle Nord

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Vue du murs S.E.

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Vue du mur S.O.

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Image de synthèse en direction du nord

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