EXPLORATION DU MUSEE DE L’HOMME Par Francesca Nouët
Mémoire d’ethnologie sous la direction de Roger Renaud, fait à Paris VII
vendredi 5 février 2010
par Administrateur- tiphaine

Musée de L’Homme

Francesca Nouët : Histoire des collections

Du 8 au 21 juin 1995,dans le cadre de mon Mémoire de Maîtrise d’Ethnologie « Les Belles Endormies », j’ai réalisé 7 entretiens au Musée de l’Homme. Ces entretiens qui portaient tous sur l’objet étaient un moyen pour moi de m’approcher physiquement et sentimentalement de personnes très différentes et de côtoyer le « merveilleux » au travers de ces rencontres. Je dois dire tout d’abord que, malgré son nom, le musée de l’Homme regorgeait de femmes et que c’est surtout à elles que j’ai eu à faire. J’ai essayé, en les interrogeant sur leurs parcours, de comprendre le sens qu’elles donnaient à l’objet et au-delà de lui, comment elles envisageaient les autres cultures, mais plus encore, de discerner quelle part de leurs cœurs était tournée vers l’Autre. J’ai eu des récits foisonnants, passionnants, et surtout, j’ai écouté avec le sentiment que je vivais là quelque chose de privilégié, que je recevais un témoignage sur un lieu unique. Au sein du Musée de l’Homme, il existe 7 Départements dépendants du Laboratoire d’Ethnologie dont les objets sont rangés d’après un classement d’ordre géographique. Les 2 derniers, les Départements d’Ethnomusicologie et de Technologie Comparée étant régis par un ordre thématique. Dans le prochain numéro de Toc Toc Toc, je présenterai : Bernadette Robbe, ethnologue et ethnolinguiste en charge des collections Arctiques (Département Asie-Arctiques) ;puis Térésa Battesti, Orientaliste et Conservatrice depuis 30 ans du Département Asie-Arctiques. Viendront ensuite Francine Ndiaye C.N.R.S. ainsi que Manuel Valentin, tous deux Maîtres de Conférence, en relation avec le Département Afrique Noire à différentes époques. Suivra Anne Vitart, Ingénieur d’Etudes, C.N.R.S., travaillant au Département Amériques. Puis Marika Kovacks, Ingénieur d’Etudes, s’occupant de la Réserve de l’Europe. Marina Pitoëff, petite fille de Blaise Cendrars et fille d’Albert Gilou, dit « l’œil », spécialisée dans l’étude de l’Inde du sud, apportera pour finir la richesse de son expérience.

D’autre part, on peut peut-être établir une certaine parenté entre les "chambres d’époque" ou Period rooms - procédé muséographique innové par le Metropolitan Museum of Art de New-York et les futurs musées de plein air dont il va être question, dans l’esprit d’authenticité qui instaure ce désir de reconstitutions très élaborées. Ce moyen d’expression, qu’on peut alors considérer comme un signe annonciateur des musées de plein air, est né chez les américains d’un profond besoin de se situer dans le temps et dans l’histoire. A la recherche d’un passé, moins ancien que le nôtre, dont leur pays ne peut leur fournir de modèle au-delà du XVIIIe siècle, ils vont s’ingénier à montrer les objets recontextualisés dans leurs intérieurs d’origine, authentiques "décors" qu’ils auront fait venir à grands frais d’Europe ou des Etats-Unis, struc¬tures de base qui leur font défaut parfois et dont l’ambiance peut être restituée alors par l’évocation du style : ce sont les musées d’atmosphère. Ces period rooms, présentes dans chaque musée amé¬ricain, et qu’on continue de créer de nos jours malgré leur coût et leur lourdeur46, remportèrent un franc succès en 1924 à l’occasion d’une grande exposition des styles coloniaux américains qui se tenait au Metropolitan Muséum de New York et qui fut stabilisée en un musée : l’American Wing. Ces period rooms illustrent l’Amérique des pionniers dont elles racontent la vie et l’histoire jusqu’à l’essor industriel. On assiste aussi à une floraison des musées d’art et d’archéo¬logie dans des villes comme Berlin, ou Boston et Philadelphie. Le critère qui prime à leur constitution étant toujours - Préhistoire exclue - celui de l’esthétique. La création des musées d’histoire est, quant à elle, toujours subordonnée à des événements, même si le nombre de ce type de musée va en augmentant.

Dans le domaine de l’ethnologie extra-européenne, les premiers musées qui voient le jour sont, à l’image du Musée d’ethnographie du Trocadéro fondé en 1898, issus du colonialisme. C’est à la fin du siècle dernier, également, que naissent en Suède, les premiers musées d’ethnographie régionale - "sous leur forme double de musées "sous-toit" et de musées de "plein air", précédant la France de cinquante ans dans ce type de démarche - qui feront prendre conscience aux peuples des dangers de disparition qui menacent leurs cultures et qui les convaincront d’en conserver la richesse en l’intégrant dans les nouvelles sociétés qui se consti¬tuent. Nous pouvons citer pour mémoire, le Nordiska Museet créé à Stockholm en 1872, suivi du Musée de plein-air de Skansen, en 1891, le Dansk Folksmuseum en 1879, le musée de "pleine terre" de Sorgeufi, en 1899, et le musée de plein-air de Linby, en 1901, tous trois fondés à Copenhague. Les musées de plein air se spécialisent dans la présentation de ces "gros objets" que sont les maisons qui sont présentées avec tout leur contenu : à travers des reconstitutions de maisons, on peut avoir accès, par exemple, aux conditions de vie du paysan dans son milieu rural, et découvrir ses outils usuels, la grande diffé¬rence avec les musées classiques résidant dans le fait qu’il n’y a là ni vitrine ni étiquette.47 Ces musées vont se systématiser un peu partout en Europe, avec des variantes, comme par exemple, l’apport de composantes industrielles propre au pays, comme en Irlande. Des musées toujours plus novateurs sont créés, découlant, eux aussi, des expositions universelles, et des premiers musées de technologie datant de la fin du XVIIIe siècle. Le Deutsche Muséum créé en 1903 à Munich aura la remarquable idée de présenter pour la première fois au public des modèles mécaniques qu’il devra actionner par lui-même. Le bon fonctionnement du Planétarium sera également dû à une initiative de techniciens allemands qui viendront l’installer en 1931 à Paris, ce qui débouchera par la suite sur la création du Palais de la Découverte en 1936. Suivront des musées pédagogiques et des musées consacrés à l’enfant, toutes ces grandes démarches novatrices donnant aux éta¬blissements museaux une considérable avance sur leur temps, dans tous les domaines. Une certaine conception écologique se développe parallèlement. Quant au reste du monde, et notamment en ce qui concerne les régions colonisées comme l’Asie, l’Amérique Latine, l’Afrique et l’Océanie, dont l’avenir socioculturel est, du fait de leur tutelle occidentale, assujetti à celui des pays européens, il ne participe pas à la grande onde muséale. Les rares musées qui existent sont l’œeuvre d’occidentaux, plus soucieux d’exprimer leur point de vue de colonisateurs que celui des peuples colonisés. Le National Indian Museum créé en 1814 à Calcutta en est une illustration. L’archéo¬logie sera le seul domaine dans lequel les peuples autres seront pris en compte. Citons au Caire, le Musée des Antiquités égyp¬tiennes fondé en 1857 et le Musée de l’Art Islamique, en 1883, contre le Musée Ethnographique créé seulement en 1925. En 1917, date de la Révolution d’octobre, les confrontations politiques qui vont opposer le monde capitaliste, dominé par les Etats Unis, et le monde socialiste, vont avoir une grande incidence sur la conception et le développement des musées. D’un point de vue juridique, la prise en main par l’Etat des musées, rapproche, quant à l’organisation, le système européen du système russe. En Amérique, où le fonctionnement des musées est toujours assuré par les trustées et par le mécénat, se créé en 1929, le Muséum of Modem Art, le MOMA, qui profite de la rupture consommée entre l’art académique et l’art d’avant-garde. En Fran¬ce, le Musée national d’Art moderne est ouvert en 1937 au Palais de Tokyo. .

47 Cf : Le Frilandsmuseet de Lingby, musée situé près de Copenhague, voir "Homo, Muséum : Ouid Novi Sub Sole ?" dans AFA, 1990, page 29.

En Allemagne, sous le IIIe Reich, on assiste à l’exaltation d’un nationalisme exacerbé qui se manifeste par la création en grand nombre des Heimatmuseen - musées qui célèbrent le terroir et manifestent un amour mystique du sol "Blut und Boden" -, par la présentation d’arbres généalogiques fascisants, et par l’éradication des oeuvres d’avant-garde, dites "Kulturbolchevismus", des musées d’art.

Avec la notion d’environnement de plus en plus présente dans les musées d’histoire naturelle entre les deux guerres, l’orienta¬tion écologique s’accentue. Des musées spécialisés comme le Musée Delacroix, sont fondés à Paris, tandis que l’ethnologie est en voie d’institutionalisation. En témoignent, en 1928, le Musée d’Ethnographie du Trocadéro qui devient le Musée de l’Homme en 1937, suivi du Musée des Arts et des Traditions Populaires à la même époque. La fonction pédagogique du musée commence à prendre forme, surtout en Angleterre et aux Etats-Unis, dans la mesure où on valo¬rise les activités du musée et qu’on créé, par exemple, de petites expositions itinérantes, en "kit", destinées à l’animation dans les écoles. Le monde socialiste, quant à lui, instaure sous l’égide de Lénine une idéologie muséale. Il s’agit de conserver le patrimoine cul¬turel des peuples en en montrant l’incidence dans la modernité - ce qui est une des missions du musée d’aujourd’hui -, de développer la fraternité entre les peuples tout en veillant sur leur édification esthétique et scientifique, et de protéger le caractère identitaire des peuples dans leur diversité. A partir de 1940, trois mondes vont se retrouver confrontés : Le monde capitaliste, le monde socialiste et le Tiers Monde. La décolonisation qui s’ébauchera un peu partout sera contrebalancée par les importantes variations économiques, subies un peu partout dans le monde, dues à l’industrialisation. De plus, les aides maté¬rielles, si elles sont dispensées anarchiquement aux pays pauvres, peuvent contribuer à les maintenir dans une dépendance ainsi qu’à la perte de leur identité culturelle. Durant cette période, en 1946, un organisme très important va prendre corps : l’Unesco, ou organisation des Nations-Unies pour la science, l’éducation et la culture, qui sera doté d’activités muséales variées et qui s’occupera notamment d’équipements de musées, subventions à des missions d’experts, publications diverses. En son sein, va se créer en 1947 : l’Icom, Conseil International des Musées - première organisation non gouvernementale des musées - regrou¬pant tous les responsables des différents musées. En Occident, les musées se développent de plus en plus, tandis qu’à partir de 1974, des cours de muséologie sont dispensés à grande échelle.