MICHEL HADDAD PAR HUBERT HADDAD
lundi 31 août 2009
par Administrateur- tiphaine

MICHEL HADDAD, est considéré en Israël comme un des créateurs les plus profondément originaux de la nouvelle peinture. Michel Haddad, en effet, dans sa quête passionnée, a tenté d’isoler le Chiffre aveuglant du visible afin de l’incarner dans une écriture de l’informel, un alphabet de la discontinuité. Apparente diversité donc - ou diversité de l’apparence -, que l’unité sans cesse inspire. Si exigeant pour lui fut cet appel qu’il voulut unir l’art à la vie et visiter le secret des signes. Mais l’unité toujours implique la dangereuse coïncidence de la conscience avec sa durée de chair et d’images ; l’espace de cet enjeu a pour intime dénomination la vérité - figure éblouie de tout destin. Né à Tunis en 1943, vivant tour à tour à Paris, Jérusalem - et Londres accessoirement -, Michel Haddad a décidé de rompre avec le monde le 3 août 1979. Demeurent les traces énigmatiques - en partie regroupées ici -, d’un parcours voué corps et âme au brisant mystère de l’être.

H.H.

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MICHEL HADDAD installation
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MICHEL HADDAD peinture

Michel Haddad

par Hubert Haddad

C’est le langage qui est schizophrène. qui crée le paradoxe là où il ose signifier du "réel’_ Michel H.

Du haut de la pyramide du Temps, un instant, un unique instant de foudre blanche vous contemple. L’art est la découverte d’une identité toujours vive où les siècles se rassemblent et se brisent dans l’épreuve de leur pérennité. L’ultime secret des temps humains échappe à l’histoire et aux hommes qui pour s’en consoler bâtissent des empires, inventent des raisons, prolongent indéfiniment le vieux rêve de maîtrise entre deux festins sanglants, deux sommeils agités et deux sacres d’idoles ; et les générations disparaissent comme les vagues sur la grève éclairée par toutes les pierres aiguës du ciel.

Nous sommes toujours au creux de la caverne à plaquer sur le roc l’empreinte de nos mains. L’énigme de notre présence est sans fond et tout le poids de ce double imaginaire, qu’au gré des âges la culture constitue, ne fondera jamais qu’une fausse identité propre à calmer l’angoisse. Mais il est un lieu du crâne et des oeuvres terrestres où vacille le grand oubli qui scelle nos destins de la plus nocturne conformité. L’opacité que mémoire des civilisations est la mesure de l’oubli qui troue chaque cervelle. Ici -hommes d’hier et d’aujourd’hui -nous sommes tous à bâtir dans l’humble et dans l’auguste avec un même sable roulant d’une main à l’autre, comme la matière de nos songes. L’art lui-même, le plus souvent, dans sa générale fonction, n’a pour fin que de dessiner des fenêtres en trompe-l’œil sur les murs des prisons. Chacun s’emploie de son mieux à conjuguer le verbe être selon les règles précises d’une grammaire convenue. Mais le secret échappe encore et toujours.

La termitière développe ses concrétions à l’intérieur d’un invisible monument qui prend appui sur le vide : ce monde est l’abîme où le vol d’Icare dessine ses lacis, croyant ainsi dissimuler de quelle verticalité foudroyante procède son mouvement. La cité est riche en esclaves qui pour le nom de citoyen acceptent l’entière aliénation de l’être. Le seul droit qu’ils s’octroient et qu’on leur mesure est de rêver à heures fixes sur les cendres des bûchers où quelques insomniaques toute leur vie flambèrent. La vie est double. Mais de la plus inconciliable dualité. Tout ce qui s’explique ici, là se défait dans l’indicible. Le discours multiple du monde s’oppose mortellement au sens caché et nous mène a plus d’occultation encore.

La clef de cette contradiction n’est guère au bout d’une Raison en acte comme le voudrait le rêve hégélien : rien ne pourra se résoudre dans la cité, sinon l’injustice peut-être un jour. Pour le reste, la vie est double. Ce qui apparaît au nourrisson vagissant que nous sommes, c’est l’éternité de son absence. Par une étrange confiance d’otage, nous accordons crédit aux légendes de nos pères comme s’ils étaient eux- mêmes immortels, les pieds baignant dans l’origine. Mais ils ne peuvent l’ignorer : la vie n’a pas d’autre assise que cette presque immédiate lumière d’où vient notre hébétude. La plus pharaonique civilisation ne saurait expliquer un seul battement de notre cœur, dès lors que nous sommes face au vide. Le spectacle de l’écume sur les flots tempétueux peut sembler de marbre scintillant au regard de l’instant et prendre ainsi un aspect fondateur. . Il faut cependant peu d’effort pour découvrir quel jeu fugace de phosphènes constitue la cathédrale de nos mythes. Voici l’illusion de l’esclave trop heureux de s’en remettre à l’expérience d’anciens détenus qui sur lui prendront maîtrise en expliquant le monde par la solidité de leurs chaînes.

La vérité est que nous ne pardonnons guère à nos géniteurs de n’enfanter pas aussi les âmes. Car c’est toujours à l’instant que nous naissons.

Mais la douleur de naître est si grande qu’il faut appeler cela vieillir ou durer. Le vide de naître s’appelle le Temps, dès que la conscience s’éveille. Doubles nous sommes : d’un côté cendres, de l’autre flammes. Et les cendres s’entassent au bûcher sans que les flammes soient visibles. Comprendrons-nous jamais pourquoi l’écho précède nos voix dans l’abîme ? Mais le ciel est vide au-dessus des effigies. Partout où l’on cherche un sens, la mort s’empresse de l’annuler. La Vérité n’appartient plus au discours. Marx et Freud pour longtemps ont balayé les poèmes en prose des idéologues. L’inconscient où toute vie se détermine et l’histoire où pareillement se réduit l’homme, ne laissent pas de place à l’innomé. Depuis lors les philosophes s’embarrassent avec le puzzle des concepts. Leur mauvaise conscience a définitivement remplacé la vérité par la morale. L’art disions-nous est l’ultime repli où l’essentiel -ce double de la vie qui fonde son mystère -garde encore un sens sacré, à savoir abyssal et dangereux. Ce n’est pas du mot qu’il faut se méfier mais de son ordinaire usage : le sacré n’est guère un domaine illusoire, séparé, interdit et inviolable, mais bien la transgression ? le viol et la folie face auxquels le profane recule, épouvanté d’avoir à mettre en jeu sa problématique « humanité ». Toute liberté conquise . à pour enjeu la vérité. Encore un mot bien alourdi et cependant irréductible. Le combat est certes inégal et la cervelle très vite s’affole ; mais rien n’a de sens hors de ce point aveugle. Toute quête authentique de la vérité conduit nécessairement aux limites de l’humain, donc au sacré. La vérité est l’autre de la raison ; celle-ci n’ayant pour terme que de remplacer les mythes par elle-même, jusqu’à se poser en fin suprême, en nouveau mythe. A l’envers de la raison, il y a la folie, et c’est dans cette inversion toujours possible que la vérité soudain reprend ses droits. Malheureusement, il n’est plus là qu’une Expérience et tout discours achoppe dès lors au non¬sens. Demeure le sacré, ou son vertige, ou son appréhension. L’art est ce lieu suspect du monde devant lequel vacillent parfois nos mortelles constructions. Face au Grand Ordinateur, il y a des poètes qui ne peuvent se satisfaire des concepts ordinaires et qui s’aventurent isolément dans les seules voies authentiques. Loin du mythe romantique pour qui le héros incarne l’idéale patrie de l’humain, ceux-là parcourent des régions que nous n’investirons jamais avec nos dérisoires outils d’insectes. L’humain n’est qu’une défroque d’illusion sur la pauvre nudité de l’être. Ce que dit le poète est un non-dit ; il n’affirme rien dans l’orbe des certitudes scolastiques. Ce qui est dit, est dédit du monde connu. Ainsi l’art a deux faces ; l’une sociale, qui renvoie au discours du monde ; l’autre, intime, où grimace le néant. Une extrême dérision, qui n’est que le rictus de l’authenticité, est le versant caché de toute expression majeure. Suspecter la représentation, c’est aussi la célébrer dans ce qu’elle a d’éternel, c’est-à-dire de magiquement fugace tel le fleuve d’Héraclite où un même dieu se baigne. L’art est la technique du non-temps pour qui le monde est un semblable mystère qu’il faut raviver sous les cendres des conventions. Ces dernières seules déterminent l’œuvre dans l’histoire ; mais l’apport du Tintoret, de Rembrandt ou du Gréco, s’il est tributaire d’une mémoire, se distingue avant tout par cette singulière identité annulant les siècles : flammes d’un temps vécu où l’essentiel seul meure. Devant leurs oeuvres, le regard est naissant et le mystère intact. Tandis que le réalisme exsangue abandonnait son art du trompe-l’oeil au service des allégories les plus éculées, l’art moderne (avec Manet)

naquit ainsi d’une volonté de dépouillement. A la fin du siècle dernier, l’art occidental, déserté par le sacré, avait perdu le sens du mystère et il fallut que la peinture interrogeât l’espace à deux dimensions qui lui est propre -comme un guerrier blessé quittant le champ de mort pour palper anxieusement sa chair meurtrie, désormais insouciant des étendards -pour découvrir soudain une singularité bien austère : le sacré à la fin (cet effarement de l’esprit face à la simple présence) venait à nouveau de ranimer les énigmes sous l’espèce d’une patiente et torturante enquête parcourant le visible dans tous ses modes d’apparitions. La figuration qui de Cézanne à Van Gogh s’était enquise de l’étrangeté élémentaire de la représentation, à travers formes et couleurs, allait se brouiller bientôt comme le miroir de Narcisse, pour laisser apparaître, après la perte du sujet, sa nature de support d’un songe indéfini que la peinture en soi- même détient : non plus visages et paysages, mais lignes et couleurs qu’assemble l’artiste au gré d’une nécessité silencieuse. L’abstraction naît du dés assujettissement du regard dans l’exercice quasi-mystique de la contemplation. Et si le monde vu sous l’angle chaotique de la foudre n’est autre que cet écart où disparaît la signification au profit du signe, la toile n’a plus à lui répondre. Devant elle, l’artiste est seul enfin. La question du visible exclut le modèle. Malevitch avec son carré noir pose l’unique objet de nos veilles. Lumières et formes sont dans le pinceau qui trace. La création s’engage dans un célibat monastique. Car voir suffit pour qui n’est qu’œil. Et cette passion où, de Kandinsky à de Staël, l’art moderne s’est affiné, s’achève dans l’aveuglement monochrome. Le visible à la fin peut se réduire à la ténèbre de la paupière close puisque le mystère demeure identique face aux plafonds de la Chapelle Sixtine ou sous la voûte crânienne que peuple la nuit de la conscience.