Ecrits contemporains
Ode à l’eau
Philippe Pujas
lundi 22 septembre 2008
par Philippe Pujas
(JPG)
(JPG)

ODE À L’EAU

On me demande de parler de l’eau, mais je n’en sais pas grand-chose. J’ai souvent essayé de la saisir entre les paumes réunies de mes mains, mais en vain. Est-ce que mes mains n’étaient pas assez serrées ? il reste que, chaque fois, elle m’a échappé. Je m’y étais mal pris, me suis-je dit la première fois, et puis encore la deuxième, et la troisième, et la quatrième, et... Je ne compte plus désormais le nombre de mes tentatives, j’y ai renoncé définitivement. Je me suis laissé dire que d’autres s’y sont noyés : l’eau était trop abondante, ils n’ont pas su la canaliser. Cela m’a fait réfléchir. Depuis, j’ai la conviction qu’il ne faut pas chercher à comprendre. Désormais, ce qu’est l’eau, je m’en fiche. Je me contente de m’en asperger, de plonger dedans, de la boire, et cela suffit à mon bonheur, à ma délectation. L’eau de la mer, par exemple. Je ne suis pas de ceux qui cherchent à connaître sa composition chimique. Je vais sur la plage, rentre dans l’eau, prends un bain, ressors de l’eau, m’allonge sur le sable, dors à moitié en écoutant la vague me bercer, comme on dit. C’est mon bonheur, mon enchantement.

Je sais bien qu’il y a toutes sortes d’eaux, et que si on veut s’amuser à les observer au microscope, si on y met un peu d’esprit scientifique, on doit avoir beaucoup de choses à découvrir, qu’un bon savant doit pouvoir établir des classifications nombreuses, qui feront de lui un expert en eau. Je veux dire qui feront de lui une autorité reconnue pour les commentaires sur l’eau douce ou l’eau salée, l’eau de source ou l’eau de rivière, celle des étangs et des glaciers, et même de celle qui existerait, croit-on savoir, sur la planète Mars.

Mais ces experts, est-ce qu’au fond ils ne font pas la même expérience que moi quand je tente d’enfermer l’eau entre les paumes de ma main ?

Est-ce que je me laisse divertir, en agissant comme ça, c’est-à-dire en me laissant porter par les courants ? Drôle de question. Je sens que ceux qui me la posent n’aiment pas ma manière d’aimer l’eau. Eux, quand ils ne cherchent pas à la recouvrir de leurs analyses, je sens qu’ ils l’aimeraient plutôt style chemin de croix : le monde n’est pas beau, il est tragique, autant le voir en face.

Je le sais bien, que le monde est tragique, qu’il n’est pas beau. Mais j’ai envie de ne pas le savoir, j’ai envie de le voir autrement, de l’imaginer autrement. Il fut un temps où c’était facile. Si non ne voulait pas voir la terre, ou l’eau, on regardait le ciel, et on le trouvait beau. On reportait tous ses espoirs sur le ciel, et on ne se faisait pas prier pour l’admirer. C’était rassurant. On se disait : l’eau est sale, mais comme le ciel est attirant, avec toutes ses étoiles qui brillent du feu de Dieu ! Et puis, les étoiles du ciel ont pâli, et un beau jour - si on peut dire - elles se sont éteintes. Alors, il a bien fallu se reporter sur autre chose, pour oublier la vie et ses misères. Je ne sais pas qui a pensé à l’eau, mais c’était bien trouvé. Moi, en tout cas, j’ai trouvé ça très bien. N’oublions pas que l’eau a de multiples facettes, et c’est bien pour ça, je le comprends maintenant, qu’elle me file sans cesse entre les doigts. Mais peu importe ; ce n’est pas de stagner que je lui demande. Ce que j’attends d’elle, encore une fois, c’est qu’elle me porte, me fasse flotter, m’abreuve, me lave. Qu’elle me parle toutes sortes de langages, qu’en coulant sur ma tête elle me fasse oublier un instant ma triste condition humaine, ou qu’elle la rende plus supportable. Et on ne m’ôtera pas de l’esprit l’idée qu’aimer l’eau comme je le fais, c’est tout un art. D’ailleurs, je vais me mettre à la peinture à l’eau.

Philippe PUJAS

(JPG)
(JPG)