Textes comptemporains
TON CORPS
Philippe Pujas
mardi 11 septembre 2007
Philippe Pujas : Ton corps


Dire ton corps parole après parole
Lambeau après lambeau
Alors que mon regard et que mes doigts
Iront errer
Jusqu'au plus infini de toi
Iront chercher à la limite du visible, au-delà
Du tactile
Tout ce qui te fait toi
Afin que n'échappe
Rien
Afin que ce que nul jamais
N'a su saisir de toi
Ni d'aucune autre
Afin que l'insaisissable
Me soit livré
Par l'observation lente méthodique orgueilleuse absolue
De la moindre fraction de ton corps de ton âme
Afin que tu saches le poids
D'un regard amoureux
Afin que nous sachions enfin
Le seul secret qui compte


Partir du tout commencement
De ce moment de grand ciel bleu
De plaine grande ouverte
D'horizon que rien n'a borné
Comme un matin d'avant l'Histoire
D'avant que tu sois là. C'était le vide et ses pays promis.
Dans ce vide un visage.
Il envahit l'espace il cache l'horizon il obscurcit le ciel
Il s'empare de moi.


Te regarder, d'abord. Savoir ne plus bouger,
N'attendre que tes gestes: machinale, une main
Portée dans tes cheveux, un sourire trop large
Le vermillon que tu mets à tes lèvres
Des paupières qui s'ouvrent au jour
Et ta voix, si semblable à ta bouche
Avec son velours sa chair
Epaisse et chaude
Ta voix est nue ta voix est sans mystère
Elle dit la chaleur de ton corps

Voilà que j'avance trop vite. Mon regard est déjà amoureux
voilà que je parle déjà
Comme si nous étions au temps
Où je savais t'aimer
Il faut remonter la mémoire
Battements et effleurements
A la banquette d'un café
Coeurs mouchetés corps deviné avant que l'âme se dénude
Ombre comprise sous la chemise un peu trop blanche
Toi ce fut, au début, un mouvement de lignes
Qui me vinrent au coeur
Et l'émurent.


Cette ligne m'est un départ
Je devine et dessine
Ce que je ne vois pas,
Proche à le presque toucher
Sous la soie brune qui l'enrobe
De son voile léger
De quoi vient que tu aimes ainsi
Inviter au voyage
De quoi vient que tu aimes porter
Les étoffes qui affolent ton sang
On jurerait qu'elles te donnent
Le plaisir du toucher
Et le penser subtil des yeux près de l'ivresse


Puis ce furent les mots qui nous déshabillèrent
D'aveux tus depuis un autre amour
Il eût fallu comprendre alors où menait notre course
Mais fous sont les amants à l'orée de l'amour
Leurs yeux si grands ouverts les empêchent de voir
Le torrent de leurs mots est barrière
Cachant les claires vérités


Folie de dire nous folie des mots pluriels
Quand chacun va son pas
Quand l'un ne voit dans l'autre
Que ses songes
Tu es là et de toi je n'attends qu'un miroir
Ta beauté m'est un baume et me flatte
Je m'arrête devant tes yeux
Je les veux grands ouverts je les veux me disant
Qu'ils ne s'ouvrent qu'à mon regard


Ta bouche est le premier toucher
L'évidence déjà que nous sommes joués
Que le fatal, le beau fatal est devant nous
Ce premier soir passé, il me faudra partir
Avec au fond de moi ces lèvres insistantes
Au goût d'amour bien accordé



Dès demain nous voudrons nous entendre
Dans la complicité d'un arrière-café
Enivrés de musique et de foule
Nous laissant emporter sans chercher à penser
Où nous mènent nos pas
La pente est douce et rien d'autre ne vaut


De ta main à ma main passera cet étrange message
Celui qui scelle le destin des amants
Cette électricité secrète et douce
Invisible et que pourtant sentiront ceux
Des banquettes voisines
Qui se diront que nous sommes heureux
Parce que le bonheur ne sait pas se cacher


Déjà je ne sais plus
L'incertitude me saisit
Tu es présence-absence tout ensemble
Tes traits sont accusés ta main proche à toucher
Passage entre nous deux
Restons à ce moment où s'ouvre le voyage
Où le seul paysage est comme deux grands yeux
Deux yeux bien plus que grands, il faudrait dire
Deux yeux à ne pas regarder si l'on craint
Les vents trop forts les amours de sirènes
Les soudaines envies de partir
Dans les tempêtes.
Je vois tes yeux et je me vois déjà
Sur le haut pont à l'avant du gaillard
Seul
La mer est bien trop forte elle fait du cargo
Un fétu un roseau fragile et le pauvre marin
Sent sous ses pieds un sol qui se dérobe,
Mais dans le ciel un souffle qui l'enivre
Et le soulève d'euphorie.
Qu'importe se noyer si c'est après t'avoir aimée
Après avoir percé le secret d'un regard
D'un sourire où je ne voulais lire
Que désir de voyage
Je disais tes yeux bleus
C'était confondre avec les ciels des mers du sud
Les vrais sont verts, d'un vert profond
Qui me pénètre jusqu'au sang, qui me trouble
Jusqu'au frisson.
Je ne sais d'où me vient la capture
Ce regard tendre à l'égal du péché,
Ou bien les longs cils noirs d'un vif de damnation?
Plus sûrement, peut-être, un sourire qui va
De ces yeux scintillants à la lèvre entr'ouverte
En écho.


Ainsi nous ne ferons jamais que le même voyage.
La route en est connue, on sait dès le départ
Ce qu'y seront l'aube embaumée et les tempêtes
Les sels brûlants et les soirs à pleurer
Les morsures et les caresses
Rien n'y fera un geste maladroit un sourire esquissé
Et nous voilà qui levons l'ancre
Je disais tes yeux bleus j'y glisse mon regard
Il me suffit de leur surface
Pour affadir le port
Je te dirai iris comme ces fleurs de mon jardin
Et des chemins de marécages
Iris dense qui sature le ciel


Je te promène dans mes mondes t'y dessine
Les mets à nu pour toi
Je promets d'oublier tout ce qui fut ma vie
De vider les tiroirs de décaper les mots
Pour leur donner des sens tout neufs
Pour les traduire ne connaître que ton langage


C'est ton corps que je voulais dire
J'ai tant à dire encore et à décrire
Mais voilà, tu es loin et je me perds dans ton ensemble
Vain me semble vouloir maintenant
De peindre le détail
Je sais bien les bonheurs que me donne
La courbure du dos
La subtilité du toucher
Le souffle retenu sur doigt qui caresse
D'autres troubles encore
Que les mots ne peuvent que taire
Le portrait à la fin je le garde derrière mes yeux
Le recompose chaque fois
Que je me plais à les fermer
Pour me dire à moi seul
Ton corps parcelle après parcelle
Me le dire, me le redire
Dans ces incessants mouvements
D'un être, de son âme
Et d'un trop aveuglant amour


Philippe Pujas