Textes comptemporains
LEÇONS DU CORPS
Martial Jalabert
vendredi 14 septembre 2007

LEÇONS DU CORPS

Leçon du corps au fond de la classe de philo : « le corps triste »

Mon corps est-il l’incarnation idéale de mon esprit ou n’est-il qu’un gros benêt malpropre et indigne ? Voilà une question que mon prof de philo ne m’a jamais posée. Comme le rappelle Michel Onfray dans L’art de Jouir, l’histoire de la philosophie n’aime pas le corps. Il est vrai que la tradition biblique, entre autres jérémiades, ne voit dans la chair qu’une source de péchés, un ruisseau de douleur, un nid à vermine, une étendue avilissante et méprisable, cracra, embarrassante, inassouvie, impure, gangrenée, un réceptacle sensuel et donc dangereux (et pourtant, dans la Bible, ça bouffe et ça baise à chaque page), bref, elle en fait le boulet de l’âme. L’antiquité grecque, malgré l’éloge sublime qu’elle consent au corps héroïque dans la statuaire et en dépit de la vénération qu’elle porte aux muscles des puissants guerriers, lui préfère l’esprit éthéré qui élève la pensée jusqu’au sommet divin de l’Olympe. Platon ne cesse de le répéter, le monde immatériel des Idées serait à la noblesse ce que le corps est à la fange. Quel insipide personnage ! Trop contentes d’avoir trouvé la soupe déjà préparée, les traditions occidentales et orientales vont embrayer là-dessus. Dénégation, circoncision, supplices raffinés de la flagellation et de l’éviction (Origène se castre pour se rapprocher de Dieu), rien n’est épargné à cette enveloppe charnelle promise à la putréfaction (et à la résurrection, croient certains, mais dans quel état ?), ce nœud de viscères, cette machine à copuler, ce tube à digérer, cette usine à gaz qui a le toupet de roter, péter et puer du bec quand elle ne produit pas des feux follets. Stoïciens, épicuriens (moins hédonistes qu’on le croit), religieux du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest, néo-platoniciens, philosophes des Lumières (à la notable exception de La Mettrie et Sade), bourgeois engraissés de la Révolution Industrielle, tous crient haro sur le baudet de chair et d’os, ne se privant pas à l’occasion de goûter aux plaisirs du bas-ventre qu’il peut procurer. Pour toutes ces bonnes âmes, le corps est bien l’ennemi à abattre sans sommations. Quelques pages de saint Augustin ou saint Thomas d’Aquin en disent plus sur la haine et le dégoût de l’humanité somatique que sur l’amour qu’ils prétendent prodiguer. Mais il existe aussi de rares sensuels, ceux pour qui le corps est tangible et l’âme incertaine, ceux pour qui tout l’esprit est compris dans le corps mais aucun corps dans l’esprit. A cet égard, les cyniques du IVème siècle avant l’ère chrétienne, (Antisthène, Diogène...) ont ouvert une voie jubilatoire que la morale s’efforce de remblayer depuis, au point d’avoir galvaudé le mot pour le discréditer. Hirsutes, rigolards, provocateurs, débauchés, libres en somme, les cyniques raillaient l’ascète Platon qui avait passé sa vie à philosopher sans jamais inquiéter ni déranger personne. Dans La Volonté de Puissance, Nietzsche stigmatise lui aussi l’idéal ascétique et affirme que « le corps humain est un système beaucoup plus parfait que n’importe quel système de pensée ou de sentiments, et même très supérieur à toute œuvre d‘art ».

Et il enfonce le clou dans Ainsi parlait Zarathoustra : « Il y a plus de raison dans ton corps que dans l’essence même de ta sagesse ! » Sacré tonton ! Du coup, les « moralistes » se crurent obligés de l’interner. Et depuis, les philosophes moroses ont méprisé le corps et les sens, ont ânonné avec sérieux des bêtises énormes, ont totalement cessé de nous inquiéter et nous emmerdent prodigieusement.

Leçon du corps au fond des bois : « le corps enthousiaste »

Il faut marcher longtemps pour déverrouiller le cœur et fluidifier le sang. Il est préférable d’alterner l’ombre et la lumière des couverts d’arbres pour habituer les yeux aux mille nuances vertes et brunes de la nature. Il est bon de respirer longuement, sans vergogne, l’odeur mêlée de la terre chaude et de l’écorce humide. Par delà les chants familiers des oiseaux et le vrombissement métallique des insectes, il est recommandé d’être à l’écoute des mammifères débusqués qui filent entre les fougères en faisant craquer les brindilles. Alors, à un certain moment, quand la ville a cessé d’exister, voici l’orée d’une clairière propice. Et te voilà couchée, palpitante, sur le lit de mousse, les yeux fermés. Emoustillé, mon sexe s’enchante d’un océanique mouvement. Sous la prairie de ton corsage à fleurs, tes seins se préparent au bal de la palme chaude de mes mains. Sois patiente, je m’appliquerai. Je m’agenouille et ma langue vient visiter le cratère de ton nombril tandis que mes doigts fébriles s’occupent à dégrafer ton jean. Les boutons de braguette, à peine effleurés, craquent un à un sous la tension gonflée de nos désirs. Ton ventre hoquète et ta respiration s’accélère. Tu ondules comme une anguille pour aider le carquois moulant de tissu à s’extraire. Entre mon pouce et mon index, tes mamelons sont durs comme des pastèques. Eve nue et offerte, tu gémis. Ta petite culotte est un filet de dentelle que je fais glisser avec mes dents. Résiste, je te forcerai. En un rien de temps, je suis sur toi, sous toi, nous roulons, tu t’agrippes à ma hampe dressée. Mes babines te fouillent promptement, explorent tes flancs nacrés et je bascule à la recherche de ta source aux lèvres de braise, je m’y noie, tu râles. Profitant de la position, tu enfournes mon sexe et l’avales à pleine goulée, joyau serti dans l’écrin de ta bouche. Mais je m’extrais courageusement et te culbute. Tes fesses sont deux adorables collines que je tente de chevaucher à présent. Hardi, mon gars. Mais je n’en ai pas le temps car tu te cambres et me fais glisser la tête dans ton rift boisé aux odeurs de chèvrefeuille. L’origine du monde ruisselle de tous ses sillons. « Maintenant, maintenant », supplies-tu. La terre oscille et le ciel se met à pleuvoir du plomb. Nous n’avons pas honte d’être aveuglés par nos étincelles. Je te hisse comme un porte-drapeau tandis que tu presses à pleins doigts les détentes du plaisir. Jubile, jubile, mon amie, car demain n’existe pas. La forêt nous observe et se réjouit. Nos corps crient d’invisibles et somptueuses ripailles.

Martial Jalabert 2007