Textes comptemporains
Dans les poubelles du Dr Faust
Martial Jalabert
vendredi 14 septembre 2007
Dans les poubelles du Dr Faust


Soulevons le couvercle infernal.
Saviez-vous que Johann Faust, avant de devenir le mythe que l'on sait, fut un être de chair et de sang qui vécut à cheval sur les XVe et XVIe siècles ? Arnaqueur professionnel utilisant toutes les ruses des marchands d'orviétan, il fut selon les circonstances magicien de foire ou de cour, maître d'école aux mœurs suspectes, astrologue et alchimiste. Contemporain de Paracelse et Cornélius Agrippa, il mena comme eux une vie exaltante mais dangereuse en cette époque obnubilée par la sorcellerie, bouleversée par le schisme luthérien et persécutée par l'Inquisition. A sa mort, naturellement entourée de mystères, le souvenir sulfureux de son amoralisme effréné n'allait pas tarder à se transformer en une légende aussi noire que le chien qui l'accompagnait sur les routes de l'exil, la police à ses trousses.
C'est Christopher Marlowe, dès la fin du XVIe siècle, qui initia le mythe de Faust dans sa Tragique histoire de la vie et de la mort du Doktor Faustus, bien avant Goethe, Lessing, Delacroix, Berlioz, Schumann, Liszt, Gounod, Valéry et Thomas Mann, pour ne citer que les plus connus des auteurs, compositeurs et peintres qui s'intéressèrent à ce personnage extravagant. Avec eux, au fil des siècles, Faust allait devenir le prototype universel de la condition humaine, de son insatiable désir de jouissance, de sa curiosité intellectuelle infinie et de son écartèlement permanent entre le mal et le bien. " Il demande au ciel ses plus belles étoiles et à la terre ses joies les plus sublimes, mais rien de loin ni de près ne suffit à calmer la tempête de ses désirs " (Goethe).

La beauté du diable.
Faust est un esthète attiré par l'abîme, en somme, et sa damnation littéraire n'est qu'une allégorie qui participe à la contre-offensive de l'appareil politico-religieux. Certes, le personnage est antipathique mais il affiche un tel mépris pour les gogos et leur morale à trois sous qu'il me ravit. J'aime à y voir la version moderne, masculine et catalytique du mythe d'Eve et du fruit défendu. Refusant d'obéir aux dogmes établis, conchiant l'autorité et ses suppôts, ne s'embarrassant pas d'analyse philosophique, Faust fustige l'ordre moral et se veut un apôtre de la liberté totale. Illusion, bien sûr. Mais poésie souveraine.
Martial Jalabert : Dans les poubelles du Dr Faust


Et c'est par un pacte signé de son sang avec Méphistophélès, l'envoyé de Satan, qu'il scelle enfin son destin. Contre la toute-puissance qu'il obtient ici-bas, contre la jeunesse éternelle et le charme qu'il opère sur les femmes séduites sans coup férir, en cela précurseur de Don Juan, il deviendra l'esclave du démon dans l'au-delà. L'au-delà ? Il s'en soucie comme d'une guigne car pour lui la mort est un non-état, une non-réalité, et l'enfer est déjà là, sur Terre. Romantique sans horizon transcendant, jouisseur ici et maintenant, Faust ne croit pas aux doctrines éventées du salut qui ne sont pour lui que des refuges pour le vulgum pecus, des stratagèmes uniquement destinés à protéger de l'angoisse. Nietzschéen par son mépris de l'éthique platonicienne du bien en soi, prosélyte de l'existence authentique, conscient d'être condamné à la liberté puisqu'il veut ignorer Dieu et la nature humaine, il est à l'opposé du salaud sartrien, cet hypocrite (ce bourgeois, dit Sartre) qui feint de prendre pour absolues les valeurs morales, c'est-à-dire les conventions et les préjugés imposés par la classe dominante. Rebelle sans foi ni loi, étonnamment contemporain par son audace, Faust ne serait-il pas le véritable Adam dépouillé de la trouille du Père ?

" Si Dieu n'existe pas, tout est permis ".
Dans ce passage célèbre des Frères Karamazov, Dostoïevski le nihiliste allait déjà bien au-delà de la morale frelatée que nous impose la civilisation moderne du prêt-à-penser. L'auteur des Possédés posait sans détour la question de l'éthique personnelle et de la responsabilité en l'opposant à celle de la morale infantilisante de la carotte et du bâton. Même le réactionnaire (mais lucide) Balzac avait la pertinence d'observer que " les mœurs sont l'hypocrisie des nations. " Que dire de mieux ? Connaît-on un chef qui n'ait pas menti, un moraliste qui n'ait pas fauté en contradiction avec les préceptes qu'il entendait imposer ? Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais. La morale, ce désordre mental, est l'arme préférée des despotes civils et religieux.
Dans un autre registre, Lautréamont le magnifique nous a appris à nous confronter à l'horreur absolue par un déluge d'images d'une beauté telle que les Surréalistes en pissèrent de plaisir dans leurs frocs en les découvrant. La " beauté convulsive " des Chants reste aujourd'hui encore inégalée. Mais Lautréamont précisait lui-même dans une lettre à un éditeur : " je décris des abominations mais je ne les commets pas. " Ducasse n'était pas Sade.


Adolescents, nous avons tous plus ou moins désiré les plaisirs terrestres mais la promesse de l'aube n'a pas été tenue. Il est d'ailleurs étrange (mais bien pratique) que l'on continue à apprendre aux enfants le respect de la vérité et de la bienséance alors que le monde des adultes, par des voies biaisées, honore les filous, les menteurs et les démagogues, suivez mon regard en cette période électorale. Qui veut parier que le vainqueur sera le plus faux jeton de tous ? Les affreux qui nous gouvernent n'ignorent pourtant pas le bien et le mal mais leurs réflexions sur le sujet sont mesurées et soupesées à l'aune de leur propre intérêt.

La nuit de Walpurgis.
On ira tous au paradis chantait Polnareff. Qu'on ait fait le bien ou le mal, on sera tous invité au bal... Si c'est pour y retrouver tous les gugusses à mitres, les tyrans pompeusement enterrés au son des orgues cathédrales, vous me permettrez de faire bande à part. Plus prosaïquement, et en attendant que Jésus revienne livrer la bataille d'Armaggedon, je vous suggère plutôt un rencard distrayant et furieusement New Age. Dans la nuit du 30 avril au 1er mai prochain, les sorcières d'Europe se réuniront pour leur sabbat comme elles le font depuis des temps immémoriaux. Les poètes, les persécutés, les païens pacifiques et les fidéistes sincères seront de la fête, loin des tartuffes, des gabuzophrènes et des oppresseurs. Malgré les interdits et les excommunications de l'Eglise, nous serons des milliers à sortir cette nuit-là et nous allumerons de grands feux avant de planter à l'aube les arbres de mai. Paganisme not dead...
L'expérience faustienne vous séduit ? Un conseil : si vous croisez un chien noir sur votre route pendant la nuit de Walpurgis, observez-le attentivement. S'il boite, alors vos désirs les plus fous pourraient bien se réaliser. A condition de...

Martial Jalabert - 2007