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Dossier : Le bien et le mal
samedi 15 septembre 2007
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LE BIEN ET LE MAL


NIETZSCHE
ARTAUD
DOSTOVÏESKI
HELENE CIXOUS
CATHERINE CLEMENT
PASCAL GIBOURG
GOETHE
RENE GIRARD
PAUL RICOEUR
KRISNAMURTI

Que reste-t-il quand la tradition a perdu sa place, quand l'influence des grands hommes ne parle plus à la conscience commune, quand la religion a cessé de revêtir le caractère d'une autorité ? Que reste-t-il quand les hommes n'ont même plus conscience de ce que représente la morale ? Il reste au moins la référence à la loi. Posons la question aux adolescents d'aujourd'hui : Comment distinguer le bien et le mal ? Nous ne pouvons pas être vraiment surpris de trouver la réponse : " le bien c'est ce qui est permis, le mal ce qui est interdit ", sous-entendu : " c'est la loi qui dit ce qui est bien ou ce qui est mal et la loi, elle nous est imposée par la société ". La morale est vue comme une contrainte nécessaire à laquelle il faut se plier, comme on doit se plier aux contraintes imposées par la loi. Voir dans la loi une indication du bien et du mal n'est pas inexact. La loi s'appuie sur une morale, la morale civique. Rester en accord avec la loi du pays dans lequel on vit est un minimum que nous puissions faire pour tout de même rester intègre. En général, rester en accord avec la loi, est déjà un degré de moralité, mais c'est une indication du bien et du mal qui reste très vague. Mais là encore, cela suffit-il ? N'y a-t-il pas une différence entre ce qui est légal et ce qui est moral ?


NIETZSCHE

Des préjugés des philosophes


"Comment une chose pourrait-elle naître de son contraire ? Par exemple, la vérité de l'erreur? Ou bien la volonté du vrai de la volonté de l'erreur? L' acte désintéressé de l'acte égoïste? Comment la contemplation pure et rayonnante du sage naîtrait-elle de la convoitise ? De telles origines sont impossibles ; ce serait folie d'y rêver, pis encore ! Les choses de la plus haute valeur doivent avoir une autre origine, une origine qui leur est propre, - elles ne sauraient être issues de ce monde passager, trompeur, illusoire, de ce labyrinthe d'erreurs et de désirs ! C'est, tout au contraire, dans le sein de l'être, dans l'immuable, dans la divinité occulte, dans la "chose en soi ", que doit se trouver leur raison d'être, et nulle part ailleurs! "(...)
Le libre esprit
Durant les jeunes années, on vénère ou on méprise encore, sans cet art de la nuance qui fait le meilleur bénéfice de la vie et plus tard, il va de soi que l'on paie très cher d'avoir ainsi jugé choses et gens par un oui et un non. Tout est disposé de façon à ce que le goût le plus mauvais, le goût de l'absolu, soit cruellement bafoué et profané jusqu'à ce que l'homme apprenne à mettre un peu d'art dans ses sentiments et que, dans ses tentatives, il donne la préférence à l'artificiel, comme font tous les véritables artistes de la vie. Le penchant à la colère et l'instinct de vénération, qui sont le propre de la jeunesse, semblent n 'avoir de repos qu'ils n'aient faussé hommes et choses pour pou voir s'y exercer. La jeunesse, en soi, est déjà quelque chose qui trompe et qui fausse. Plus tard, lorsque la jeune âme, meurtrie par mille désillusions, se trouve enfin pleine de soupçons contre elle-même, encore ardente et sauvage, même dans ses soupçons. et ses remords, comme elle se mettra en colère contre elle-même, comme elle se déchirera avec impatience, comme elle se vengera de son long aveuglement, que l'on pourrait croire volontaire, tant elle s'acharne contre lui dans cette période de transition, on se punit soi-même, par la méfiance à l'égard de ses propres sentiments; on martyrise son enthousiasme par le doute, la bonne conscience vous apparaît déjà comme un danger, au point que l'on pourrait croire que le mot en est irrité et qu'une sincérité plus subtile s'en fatigue; et surtout, on prend parti, par principe, contre " la jeunesse ". - Dix ans plus tard, on se rend compte que cela aussi n'a été que - jeunesse !(...)

ARTAUD
MANIFESTE EN LANGAGE CLAIR

(Fragment ) à Roger Vitrac.
Si je ne crois ni au Mal ni au Bien, si je me sens de telles dispositions à détruire, s'il n'est rien dans l'ordre des principes à quoi je puisse raisonnablement accéder, le principe même en est dans ma chair.
Je détruis parce que chez moi tout ce qui vient de la raison ne tient pas. Je ne crois plus qu'à l'évidence de ce qui agite mes moelles, non de ce qui s'adresse à ma raison. J'ai trouvé des étages dans le domaine du nerf. Je me sens maintenant capable de départager l'évidence. Il y a pour moi une évidence dans le domaine de la chair pure, et qui n'a rien à voir avec l'évidence de la raison. Le conflit éternel de la raison et du coeur se départage dans ma chair même, mais dans ma chair irriguée de nerfs. Dans le domaine de l'impondérable affectif, l'image amenée par mes nerfs prend la forme de l'intellectualité la plus haute, à qui je me refuse à arracher son caractère d'intellectualité. Et c'est ainsi que j'assiste à la formation d'un concept qui porte en lui la fulguration même des choses, qui arrive sur moi avec un bruit de création. Aucune image ne me satisfait que si elle est en même temps Connaissance, si elle porte avec elle sa substance en même temps que sa lucidité. Mon esprit fatigué de la raison discursive se veut emporté dans les rouages d'une nouvelle, d'une absolue gravitation. C'est pour moi comme une souveraine où seules les lois de l'illogique participent, et où triomphe la découverte d'un nouveau Sens. Ce Sens perdu dans le désordre des drogues et qui donne la figure d'une intelligence profonde aux phantasmes contradictoires du sommeil. Ce Sens est une conquête de l'esprit sur lui-même, et, bien qu'irréductible par la raison, il existe, mais seulement à l'intérieur de l'esprit. Il est l'ordre, il est l'intelligence, il est la signification du chaos. Mais ce chaos, il ne J'accepte pas tel quel, il l'interprète, et comme il l'interprète, il le perd. Il est la logique de l'illogique. Et c'est tout dire. Ma déraison lucide ne redoute pas le chaos.(...)



Tiphaine Stepffer
TIPHAINE " Matière-Noir " 2007


DOSTOÏEVSKI
En général, je demande de nouveau la permission de me récuser à ce sujet, répéta Pierre Alexandrovitch, et à la place, je vais vous raconter, messieurs, une autre anecdote, sur Ivan Fédorovitch lui-même, fort intéressante et des plus caractéristiques. Pas plus tard qu'il y a cinq jours, dans une société principalement féminine, il a déclaré solennellement, au cours d'une discussion, que sur toute la terre il n'est rigoureusement rien qui force les hommes à aimer leurs semblables, qu'il n'existe aucune loi de la nature ordonnant à l'homme d'aimer l'humanité et que s'il y a eu et qu'il y ait encore l'amour sur la terre, ce n'est pas en vertu d'une loi naturelle, mais uniquement parce que les hommes croyaient en leur immortalité. Ivan Fédorovitch ajouta, entre parenthèses, que c'est en cela que consiste toute la loi naturelle, de sorte que si l'on détruit dans l'humanité la foi dans son immortalité, cela fera tarir aussitôt en elle non seulement tout amour, mais encore toute force vive qui permette de continuer la vie du monde. Bien mieux : il n'y aura alors plus rien d'immoral, tout sera permis, même l'anthropophagie. Mais cela n'est pas tout encore : il conclut en affirmant que pour tout individu, tels que nous maintenant par exemple, qui ne croit ni en Dieu ni en son immortalité, la loi morale de la nature doit immédiatement devenir le contraire absolu de l'ancienne loi religieuse, et que l'égoïsme poussé jusqu'à la scélératesse doit non seulement être permis à l'homme, mais reconnu pour une issue indispensable, la seule raisonnable et presque la plus noble dans sa situation. D'après un tel paradoxe, vous pouvez juger, messieurs, de tout le reste que proclame et qu'a peut-être l'intention de proclamer encore notre cher excentrique et amateur de paradoxes Ivan Fédorovitch. (...)

PAUL RICOEUR
La réflexion sur la symbolique du mal triomphe dans ce que nous appellerons désormais la vision éthique du mal
LA STRUCTURE DES SYMBOLES PRIMAIRES

La symbolique du mal est une excellente 'pierre de touche' à trois égards au moins :
- en premier lieu du fait qu'il n'y a pas de langage non symbolique du mal subi ou commis- en deuxième lieu du fait qu'elle fait apparaître tout de suite une dynamique, une vie des symboles.(...)
" Il est très remarquable qu'en deçà de toute théologie et de toute spéculation, en deçà même de toute élaboration mythique, soient encore rencontrés des symboles ; ces symboles élémentaires sont le langage in substituable du domaine d'expérience qui peut être appelé, pour faire bref, l'expérience de " l''aveu "' ; il n'y a pas en effet de langage direct, non symbolique du mal subi, souffert, ou commis ; que l'homme s'avoue responsable ou s'avoue la proie d'un mal qui l'investit, il le dit d'abord et d'emblée dans une symbolique dont on peut retracer les articulations grâce aux divers rituels de 'confession' que l'histoire des religions a interprétés pour nous.
Qu'il s'agisse de la tache dans la conception magique du mal comme souillure, ou des images de la déviation, de la voie courbe, de la transgression, de l'errance, dans la conception plus éthique du péché, ou de celle du poids, de la charge, dans l'expérience plus intériorisée de la culpabilité, c'est toujours à partir d'un signifiant du premier degré, emprunté à l'expérience de la nature - le contact, l'orientation de l'homme dans l'espace - que se constitue le symbole du mal. Sont appelés symboles primaires, ce type de langage élémentaire pour le distinguer des symboles mythiques, beaucoup plus articulés, qui comportent la dimension du récit, avec des personnages, des lieux et des temps fabuleux, et racontent le Commencement et la Fin de cette expérience dont les symboles primaires sont l'aveu.(...)
L'AVEU ET L'ACCUSATION
ESSAIS D'HERMÉNEUTIQUE

CATHERINE CLEMENT

L'origine est l'envers du présent. C'est cette genèse d'une déplorable inversion que raconte Freud dans le mythe d'origine; Totem et Tabou, Moïse et le Monothéisme, Malaise dans la civilisation passent par la fête. C'est la fête cannibale, le repas totémique. Elle passe, la fête, par le deuil du deuil à la joie, comme dans l'exorcisme le démon exprime sa présence par la face radieuse. " Ce deuil est suivi, écrit Freud, de la fête la plus bruyante et la plus joyeuse, avec déchaînement de tous les instincts et acceptation de toutes les satisfactions. Et ici nous entrevoyons sans peine la nature de la fête. Ce n'est pas parce qu'ils se trouvent, en vertu d'une prescription, joyeusement disposés, que les hommes commettent des excès; l'excès fait partie de la nature même de la fête; la disposition joyeuse est produite par la permission accordée de faire ce qui est défendu en temps normal. " La fête succède au deuil, au meurtre du père; mais le meurtre est dû à la capitalisation des femmes par la mère, c'est-à-dire à une absence d'échange. Les fils tuent le père, l'homme qui a toutes les femmes; le pleurent. Mais dans un geste commémoratif où réapparaît le refoulé, où revit le père dans l'animal totem, où se ré accomplit l'acte parricide, survient la fête comme répétition de l'absence d'échange. La fête cannibale dépèce le corps de l'homme; elle est un paradis, célébrant l'origine de la distance entre homme et femme, l'origine de la régulation de leurs rapports, annulant cette distance dans du deuil et de la joie mêlés. Dans la version freudienne de l'histoire, l'inceste prend racine à cet endroit; et, en même temps que lui, l'instauration de la génération; de la succession infinie des pères et des fils échangeant les filles. Dans la fête, cet échange disparaît " Le désir de la mère ou de la sœur,commente Lévi-Strauss, " le meurtre du père et le repentir des fils ne correspondent, sans doute, à aucun fait, ou ensemble de faits, occupant dans l'histoire une place donnée. Mais ils traduisent peut-être sous une forme symbolique, un rêve à la fois durable et ancien.. .Les satisfactions symboliques dans lesquelles s'épanche, selon Freud, le regret de l'inceste, ne constituent donc pas la commémoration d'un événement. Elles sont autre chose, et plus que cela l'expression permanente d'un désir de désordre, ou plutôt de contrordre ".
Dossier: Le Bien et le Mal

A moins que ce ne soit, plutôt, une manière détournée de retrouver un ordre ancien, périmé, qui fut en son temps l'ordre essentiel. La prohibition de l'inceste, c'est le temps actuel de la loi; c'est ce qui est actuellement interdit actuellement, doit s'entendre ici dans le contexte du récit mythique, au niveau duquel je me tiens en permanence.
Mais Michelet trouve une explication plus convaincante. Aux temps médiévaux de la sorcellerie, l'inceste a une définition si étendue qu'il comprend presque tous les membres d'un même village; pour prendre femme, il faut vraiment sortir de son pays, aller chercher au-delà des régions comprises dans la dure loi ecclésiastique. Cousins, jusqu'au sixième degré, compère et commère dans un baptême, parentèle couvrant tout l'espace de l'enfance aimer dans le village, c'est déjà l'inceste interdit. Alors, au moment du Sabbat, les participants commettent l'inceste; c'est qu'ils retrouvent là leurs objets d'amour enfantin; c'est là, dans cette apparente sauvagerie, qu'ils retrouvent leur ordre véritable, l'ordre de leurs premiers attachements, de voisinage, de cousinage. " L'inceste est l'état général des serfs, état parfaitement manifesté dans le sabbat, qui est leur unique liberté, leur vraie vie, où ils se montrent ce qu'ils sont ", écrit Michelet. Paradoxalement, ou au contraire logiquement, cet envers est la vérité " Au sabbat éclataient les attractions naturelles. Le jeune homme retrouvait là celle qu'il connaissait, aimait d'avance, celle dont, à dix ans, on l'appelait " le petit mari ". Il la préférait à coup sûr, et se souvenait peu des empêchements canoniques (...)


Tiphaine Stepffer
TIPHAINE " Exaltation noire " 2007


Pascal Gibourg
La chute n'est pas nuisible à l'homme, elle apparaît même comme ce qui conditionne son progrès. En ce sens nous pourrions dire que la vocation de l'homme est de tomber et que la chute est en quelque sorte le mode sur lequel il apprend à marcher - sur un plan métaphorique à se conduire. A cet égard nous dirons de l'idéal qu'il est ce qui permet à l'homme de se relever, autrement dit la représentation symbolique qu'il se fait de lui-même et à laquelle il tend à se conformer (le moi transcendant).
Dossier: Le Bien et le Mal

Rapport du fils au père, du disciple au maître, qui implique un rapport aux valeurs supérieures de la vie. A ce stade de notre développement on ne pourra pas dire que l'idéal dessert la vie, puisqu'au contraire il est ce qui lui confère son prix et l'incite à se dépasser.

Néanmoins nous devons envisager le cas où l'idéal, parce qu'il a perdu son efficacité et sa force d'attraction, se trouve devenir ce à quoi il est vain de prétendre ; pire encore, ce en regard de quoi la vie apparaît dans toute sa misère et sa médiocrité, ce à l'égard de quoi l'homme n'éprouve plus que de la répulsion. C'est à ce moment que la négation de l'idéal apparaît comme salutaire et comme le seul moyen de ne pas laisser la vie perdre toute sa valeur. Geste souverain sans doute, et qui, s'il ne vise qu'à détruire le monde suprasensible n'en détruit pas moins du même coup le monde sensible. Geste neutre donc, auquel Nietzsche a donné le nom célèbre de " Mort de Dieu ", précisant bien que l'homme était son meurtrier et qu'à ce titre " le nihilisme doit être assumé comme sacrilège " Ainsi tout homme contemporain de la Mort de Dieu se trouve désigné comme meurtrier et condamné à expier une faute que l'histoire a commise pour lui. Echapper à cette culpabilité originaire exige donc que ce temps que signale l'absence des dieux soit accepté et reconnu comme sien, ceci afin que ne sévisse plus l'esprit de vengeance définit par Nietzsche lui-même comme " le ressentiment de la volonté envers le temps et son " il y avait "...

ISIDORE DUCASSE
CHANT PREMIER

(...)Lecteur, c'est peut-être la haine que tu veux que j'invoque dans le commencement de cet ouvrage ? Qui te dis que tu n'en renifleras pas, baigné dans d'innombrables voluptés, tant que tu voudras, avec tes narines orgueilleuses, larges et maigres, en te renversant de ventre, pareil à un requin, dans l'air beau et noir, comme si tu comprenais l'importance de cet acte et l'importance non moindre de ton appétit légitime, lentement et majestueusement, les rouges émanations ? Je t'assure, elles réjouiront les deux trous informes de ton museau hideux, ô monstre, si toutefois tu t'appliques auparavant à respirer trois mille fois de suite la conscience maudite de l'Éternel ! Tes narines qui seront démesurément dilatées de contentement ineffable, d'extase immobile, ne demanderont pas quelque chose de meilleur à l'espace devenu embaumé comme de parfums et d'encens, car elles seront rassasiées d'un bonheur complet, comme les anges qui habitent dans la magnificence et la paix des agréables cieux.(...)
J'établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon pendant ses premières années où il vécut heureux ; c'est fait. Il s'aperçut ensuite qu'il était méchant : fatalité extraordinaire ! Il cacha son caractère tant qu'il put pendant un grand nombre d'années ; mais à la fin, à cause de cette concentration qui ne lui était pas naturelle, chaque jour le sang lui montait à la tête, jusqu'à ce que, ne pouvant plus supporter une pareille vie, il se jeta résolument dans la carrière du ma(...)
Dossier: Le Bien et le Mal

HELENE CIXOUS
Vers le Continent noir.
Après cette visitation, si j'émerge dans la chambre glacée où la Primavère poursuit son récit, je me sens moins menacée par l'inévitable. Sans tourment. Prête. Comme c'est simple. Délestée entre temps des respects désuets, décences et civilités dues, à la société, à la vraisemblance. La phrase d'avant, craignant encore que l'on m'accuse de dévergondage mental, Je m'en étais accusée la première, quand je n'avais pas pu m'interdire certaines aberrations. Par exemple raconter l'assassinat de Jenais, sans preuve, sans motif, sans excuse? Mais après cette rencontre je suis quitte. On continue.
Lui-vivant, lui-même totémisé, se nourrissant de son mort, sauté accommodé, servi par son-mort lui-même, sortant on ne sait d'où peut-être de lui-vivant comme d'une tombe ou d'un ventre d'une mère inconnue. Et alors? Nous n'avons pas à nous excuser des miracles que nous, dieux, commettons à notre insu.
C'est donc sans justice et sans cause que la Primavère conduit à terme maintenant cette prodigieuse partie de plaisir. Du haut de la tour qu'elle est, et moi du haut de la tour que je suis, je regarde et je n'empêche rien. " Comment as-tu pu faire? " " C'est très facile ", dit-elle, - sa voix d'une menteuse douceur. O amour! " Il ne s'est pas débattu. "
Pas plus que son mort se servant lui-même, portant à Dieu attablé, prêt à se restaurer, armé d'un couteau et d'une fourchette, sans s'être disposé sur un plat, son cadavre. " Nous étions d'accord. " " Mais, dis-je, s'il mange son oint servi par feu ce dernier, il ne faisait qu'accomplir la naturelle réincorporation du dieu à qui l'on a tué son fils. S'il l'avait tué lui-même, l'aurait-il également englouti? " (..)

Tiphaine Stepffer
TIPHAINE " Célébration du noire " 2007

GOETHE
(...)Mais telle est la scrupuleuse équité de cet excellent homme : quand il croit avoir avancé quelque chose d'exagéré, de trop général, ou de douteux, il ne cesse de limiter, de modifier, d'ajouter ou de retrancher, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de sa proposition. A cette occasion il se perdit dans son texte. Bientôt je n'entendis plus un mot de ce qu'il disait; je tombai dans des rêveries; puis tout à coup je m'appliquai brusquement la bouche du pistolet sur le front, au-dessus de l'œil droit. " Fi! dit Albert en me prenant l'arme, que signifie cela? - Il n'est pas chargé, lui répondis-je. - Et quand même, qu'est ce que cela signifie? répliqua-t-il avec impatience.

Je ne puis concevoir comment un homme peut-être assez fou pour se brûler la cervelle : l'idée seule m'en fait horreur.
- Vous autres hommes, m'écriai-je, vous ne pouvait parler de rien sans dire tout d'abord: Cela est fou, c est sage, cela est bon, cela est mauvais! Qu'est-ce que tout cela veut dire? Avez-vous approfondi les véritables motifs d'une action? Avez-vous démêlé les raisons qui l'ont produite, qui devaient la produire? Si vous aviez fait cela, vous ne seriez pas si prompts dans vos jugements.
-Tu conviendras, dit Albert, que certains actions sont et restent criminelles, quels qu'en soient les motifs. " Je haussai les épaules, et je lui accordai ce point.
Cependant, mon cher, continuai-je, il se trouve encore ici quelques exceptions. Sans aucun doute le vol est un crime; mais l'homme qui, pour s'empêcher de mourir de faim, lui et sa famille, se laisse entraîner au vol, mérite-t-il la pitié ou le châtiment? Qui jettera la première pierre à l'époux outragé qui, dans sa juste fureur, immole une femme infidèle et son vil séducteur? à cette jeune fille qui, dans un moment de délire, s'abandonne aux charmes entraînants de l'amour? Nos lois mêmes, ces froides pédantes, se laissent toucher, et retiennent leurs coups.
- Ceci est autre chose, reprit Albert car un homme emporté par une passion trop forte perd la faculté de réfléchir, et doit être regardé comme un homme ivre ou comme un insensé.
- Voilà bien mes gens raisonnables! m'écriai-je en souriant. Passion! ivresse! folie I Hommes moraux I vous êtes d'une impassibilité merveilleuse. Vous injuriez l'ivrogne; vous vous détournez de l'insensé; vous passez outre comme le prêtre, et remerciez Dieu, comme le pharisien, de ce qu'il ne vous a pas faits semblables à l'un d'eux. J'ai été plus d'une fois pris de vin, et souvent mes passions ont approché de la démence, et je ne me repens ni de l'un ni de l'autre.(...)

RENE GIRARD
(...) L'esprit moderne dans ce qu'il a d'efficace, c'est la science. Chaque fois que la science triomphe de façon incontestable, le même processus se répète. On prend un très vieux mystère, redoutable, obscur, et on le transforme en énigme.
Il n'y a pas d'énigme, si compliquée soit-elle, qui ne soit finalement résolue. Depuis des siècles, le religieux se retire du monde occidental d'abord puis de l'humanité entière. A mesure qu'il s'éloigne et qu'on prend sur lui du recul, la métamorphose que je viens de signaler s'effectue d'elle-même. Le mystère insondable de jadis, celui que les tabous les plus formidables protégeaient, apparaît de plus en plus comme un problème à résoudre.

Pourquoi la croyance au sacré? Pourquoi partout des rites et des interdits, pourquoi n'y a-t-il jamais eu d'ordre social, avant le nôtre, qui ne passe pour dominé par une entité surnaturelle?
En favorisant les rapprochements et les comparaisons, la recherche ethnologique, l'accumulation formidable des témoignages sur d'innombrables religions toutes mourantes ou déjà mortes, a accéléré la transformation du religieux en une question scientifique, toujours offerte à la sagacité des ethnologues.
Et c'est dans l'espoir de répondre à cette question que la spéculation ethnologique, pendant longtemps, a puisé son énergie. A une certaine époque, de 1860 à 1920 environ, le but paraissait si proche que les chercheurs faisaient preuve de fébrilité. On les devine tous soucieux d'être les premiers à écrire l'équivalent ethnologique de l'Origine des espèces, cette " Origine des religions " qui jouerait dans les sciences de l'homme et de la société le même rôle décisif que le grand livre de Darwin dans les sciences de la vie.


Les années passèrent et aucun livre ne s'imposa. L'une après l'autre, les " théories du religieux " firent long feu, et peu à peu l'idée s'est répandue que la conception problématique du religieux doit être fausse.
Certains disent qu'il n'est pas scientifique de s'attaquer aux questions trop vastes, celles qui couvrent le champ entier de la recherche. Où en serait de nos jours une biologie qui aurait prêté l'oreille à de pareils arguments?
LE MÉCANISME VICTIMAIRE:
FONDEMENT DU RELIGIEUX

NIETZSCHE

Toute joie veut l'éternité de toutes choses, veut du miel, du levain, veut un minuit enivré, veut des tombes, veut la consolation des larmes versées su les tombes, veut un couchant rouge et or.
--que ne veut-elle pas, la joie! elle est plus assoiffée, plus cordiale, plus affamée, plus effrayant plus secrète que toute douleur, elle se veut elle même, elle se mord elle-même, la volonté de l'anneau lutte en elle,
- elle veut de l'amour, elle veut de la haine, elle est dans l'abondance, elle donne, elle jette loin d'elle, elle mendie pour que quelqu'un I' accueille, elle remercie celui qui la prend. Elle aimerait à être haïe, -
- la joie est si riche qu'elle a soif -de douleur, d'enfer, de haine, de honte, d'estropiement, soif du monde, - car ce monde, oh! vous le connaissez
O hommes supérieurs, c'est après vous qu'elle languit, la joie, l'effrénée, la bienheureuse, - elle languit, après votre douleur, vous qui étés manqués Toute joie éternelle languit après les choses manquées.
Car toute joie se veut elle-même, c'est pourquoi elle veut la peine! O bonheur! ô douleur! Oh! Brise toi, cœur! Hommes supérieurs, "apprenez-le donc, la joie veut l'éternité .
- La joie veut l'éternité de toutes choses, veut la profonde, profonde éternité !

AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA


KRISNAMURTI

L'amour pourrait bien être l'ultime solution à toutes les difficultés des hommes entre eux, à leurs problèmes, à leurs peines, mais comment nous y prendre pour savoir ce que c'est ? En le définissant ? L'Eglise le définit d'une façon, la société d'une autre, et il y a, en outre, toutes sortes de déviations et de perversions ; adorer quelqu'un, coucher avec quelqu'un, échanger des émotions, vivre en compagnie, est-ce cela que nous appelons l'amour ? Mais oui, c'est bien cela, et ces notions sont, malheureusement, si personnelles, si sensuelles, si limitées, que les religions se croient tenues de proclamer l'existence d'un amour transcendantal. En ce qu'elles appellent l'amour humain, elles constatent du plaisir, de la jalousie, un désir de s'affirmer, de posséder, de capter, de dominer, d'intervenir, dans la pensée d'autrui, et voyant toute cette complexité, elles affirment qu'existe un autre amour, divin, sublime, infrangible, impollué. Des hommes saints, partout dans le monde, soutiennent que regarder une femme est mal ; qu'il est impossible de se rapprocher de Dieu si l'on prend plaisir à des rapports sexuels ; et, ce faisant, ils refoulent leurs désirs qui les dévorent, en niant la sexualité, ils se bouchent les yeux et s'arrachent la langue, car ils nient toute la beauté de la terre. Ils ont affamés leur cœur et leur esprit. Ce sont des être déshydratés, ils ont banni la beauté, parce que la beauté est associée à la femme.
Peut-on diviser l'amour en sacré et profane, divin et humain, ou est-il indivisible ? Se rapporte-t-il à une personne et pas au nombre ? Lorsqu'on dit : " je t'aime ", cela exclut-il l'amour pour d'autres ? L'amour est-il personnel ou impersonnel ? Moral ou immoral ? Est-il réservé à la famille ? Et si l'on aime l'humanité, peut-on aimer une personne ? Est-ce un sentiment ? Une émotion ? Un plaisir ? Un désir ? Toutes ces questions indiquent, n'est-ce pas, que nous avons des idées au sujet de l'amour, des idées sur ce qu'il devrait être ou ne pas être, en somme un critérium ou un code élaboré par la culture à laquelle nous appartenons. Pour voir clair en cette question, il nous faut donc, au préalable, nous liberér des incrustations des siècles, mettre à l'écart tous les idéaux et idéologies au sujet de ce qu'il faut ou de ce qu'il ne faut pas que soit l'amour. Créer une séparation entre ce qui est et ce qui devrait être est la façon la plus illusoire de considérer la vie.