Livre
La perle et le diamant ou une leçon de rhum
Denys Condé
jeudi 15 mars 2007

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Ces quelques souvenirs font-ils un cahier  ? Ce fouillis d’impressions et la véracité du sentiment font-ils un bouquet suffisant de roses et d’hibiscus ?
Exhalaison de parfums, bouffée d’odeurs, expansion de bonheur, Martinique, sous ton plus sombre jour, jamais je n’ai prêché, jamais je ne prêcherai contre Toi.
Alors permets que je prêche pour Toi !

IDENTITÉ ET MÉTISSAGE Les migrations, l’immigration, l’intégration, l’assimilation, le métissage, l’identité, les racines sont des thèmes actuels. Comment s’en étonner, le monde vivant un décloisonnement qui ne date pas d’aujourd’hui mais atteint une très forte intensité dans les faits, dans les drames et dans les opinions. Les moyens de communications en tout genre ont modifié les relations des personnes, des groupes et bousculé l’état ancien des sociétés. Les contacts de voisinage sont moins étroits, les contacts à distance se sont multipliés. Les régions quoique qu’elles en disent sont moins singulières, les frontières moins strictes, les échanges à travers le monde en plein essor. Face à ce décloisonnement, à cette mondialisation, à ce métissage, les opinions et les réactions sont très diverses et témoignent d’un réel embarras. À propos du métissage, Jack Lang confiait : "Ce n’est pas la confusion, c’est la passerelle, la corrélation." Très bien, mais si l’on fait un enfant sur la passerelle, que devient l’enfant ? L’homme a encore besoin de se reconnaitre dans un groupe. L’autodétermination est un droit reconnu de même que la diversité culturelle. Or l’autodétermination n’est pas pour le métissage, elle est pour la singularité avec le souci de protéger son identité ; quant à la diversité culturelle elle n’a de sens que si les cultures sont et se maintiennent réellement diverses. Aimé Césaire qui est métis soutient "Nègre je suis, nègre je resterai", tandis qu’un autre métis Édouard Glissant est pour le "Tout monde". Un troisième martiniquais, ami de Césaire, rapportait lui avoir dit : "Aimé, ce n’est pas parce que tu es plus noir que moi qu’il faut que tu dises que nous sommes noirs, tu le sais, nous ne sommes ni noirs, ni blancs. Ajoutant : "et ce n’est pas facile !" Ce n’est pas facile, en effet, pour les enfants de la passerelle car si le métissage est un compromis enrichissant pour certains, révoltant et perturbant pour d’autres, il oblige les plus sensibles et ceux qui sont sortis de leur communauté d’origine à structurer seuls leur identité. Glissant, il y a bientôt quarante ans, écrivait : "La relation porte l’univers au fécond métissage, ceux qui vivent cet état ne sont plus des victimes pathétiques : ils sont lourds d’exemplarité". Il n’empêche qu’à l’intérieur de l’individu la synthèse doit se faire. Faut-il tenir la balance égale ou pencher d’un coté ? Ni tout à fait d’un coté, ni tout à fait de l’autre ? Et des communautés se reforment toujours un peu exclusives, aux États-Unis Barack Obama est, pour certains, fils de kényan et pas assez noir, alors qu’un vrai noir américain devrait descendre d’esclaves des plantations. En France, la revendication essentielle du Conseil Représentatif des Associations Noires est, à cet égard, exemplaire. Le CRAN réclame l’intégration la plus parfaite sans aucune discrimination et s’élève contre le risque de voir se développer en France une société blanche et une société noire. L’État et les Pouvoirs Publics sont pressés, sinon sommés de pratiquer une action "affirmative" à tous les niveaux, mais le discours du CRAN s’adresse aussi à tous les français sans lesquels un tel projet ne peut aboutir. Vœu pieux, dira-t-on, mais c’est là où il faut revenir sur les problèmes d’identité. Indépendamment de l’identité personnelle, intime, complexe, il y a l’identité des groupes qui n’est pas sans influer sur la première. Ces groupes locaux, régionaux, associatifs ne sont plus tous de proximité mais choisis, sélectionnés, au besoin sur la Toile, le cadre national venant structurer l’ensemble. Ce cadre réclamé, ne serait-ce que dans un souci d’égalité, a lui-même son identité. On ne peut pas être pour l’émancipation des peuples, pour leur autodétermination sans reconnaitre les identités qui fondent et justifient ces mouvements nationaux. Mais attention, la nation ne doit pas être resserrée sur des critères étroits. L’éclatement de la Yougoslavie a tué une nation qui se formait et gare à l’Espagne et à l’Angleterre ! Ce qui fait la force et l’exemplarité de la nation française, c’est sa capacité universaliste à réunir dans l’égalité civique toutes sortes de groupes et catégories dans un cadre large, laïque, laissant infiniment plus de liberté aux individus dans une compréhension des caractères de chacun et de chaque communauté auxquels il n’est pas interdit de se souvenir de ses origines. En retour, il faut accepter les règles nécessaires à la vie en commun et à l’expression de la solidarité. Enfin et surtout il faut le désir et la volonté de s’insérer dans le corps social dont on a vu la masse s’exprimer récemment. C’est sur ces bases qu’historiquement l’intégration a bien fonctionnée non sans grincements bien sûr. Le moment capital est celui de la deuxième génération : le sol lui a offert la nationalité mais c’est à l’individu d’adhérer. On comprend que pour certains et dans certains milieux il faille une attention et une aide particulière. C’est là qu’interviennent les racines. Les racines ce ne sont pas nos ancêtres ni leur terroir ; ce n’est pas un capital héréditaire mais un mécanisme de l’esprit, un processus intérieur qui permet à l’individu de s’alimenter, de se former, de s’enrichir et, en définitive, d’aboutir à une personnalité forte et vivante capable d’évoluer sereinement. L’identité, c’est la synthèse élaborée de ses héritages, de ses rencontres, des circonstances et, plus généralement, d’acquis divers. Cette liberté de choix permet à l’homme de multiplier les métissages apportant dans la sphère intime une extraordinaire ouverture qui va nourrir la rencontre et l’échange par "affinités électives". Dans notre babel superactive, le métissage des corps et des esprits devrait, avec le temps, réduire les incompréhensions et favoriser en l’enrichissant le vivre ensemble. Certains, cependant, pourront au nom de la diversité et en toute tolérance, continuer de dire "Tel je suis, tel je resterai."

Denys Condé

Edition TIPHAINE

68 pages - 100 exemplaires