Art contemporain
Martin Mc Nulty
lundi 2 janvier 2006

Martin Mc Nulty recrée et suspend les détritus des siècles

Martin Mc Nulty Irlandais d’Angleterre, on le verrait debout dans une crique solitaire, le crachin dans ses boucles noires. Sculpteur de formation, il a peint dix ans à Paris. Après cette période d’huiles sur toile et de paysages rêvés, il s’est mis à confectionner de petits objets. Il parle peu et travaille beaucoup. Ses objets sont donc devenus innombrables. Aux cimaises il les avait alignés par centaines. Ils pendaient comme des amorces à des hameçons, pluie de fils de fer, eux-mêmes accrochés à des tringles horizontales. "Sous les mains du sculpteur-joaillier, tout le reliquat de nos surplus et de nos abandons" . La couleur des éléments variait de l’ocre au bitume, du roux sale au rose-brun, avec des camaïeux qui déterminaient, comprenions-nous peu à peu, une série d’œuvres distinctes. L’une d’elles pouvait se comp9ser par exemple de cinquante choses suspendues. Quelles choses ? On y regardait de plus près, avec prudence car on pouvait se piquer, ou s’infecter parce qu’on croyait voir de vieilles peaux, ou surprendre un secret désagréable parce qu’il y avait des étuis souillés, ou planter son doigt dans un enduit gluant. On voyait comme un petit nid d’oiseaux déserté. Des fragments de vêtements comme trouvés dans un cercueil. Des concrétions calciques comme sous un robinet dans un couloir. Des pierres pralinées de sable. Des chiffons noircis et tordus. Des papiers déchirés que des bains chimiques avaient rendus translucides. Des rogatons de lard d’une autre époque. Beaucoup de moignons de résine emprisonnant des débris minuscules comme l’ambre laisse voir dans son jaune un insecte. Des sachets. Des pavés rosâtres dont on ne sa,vait s’ils étaient de l’ordre animal, végétal ou minéral. Des pièces triangulaires, couleur gypse, qui combinaient leurs ombres en jetant sur le mur blanc une étoile de David. Peut-être l’anneau terminal d’un préservatif. Un clou de la longueur d’un doigt, mais fait de cuir, les matières ne cessant d’être ambiguës. Des bijoux et grigris tels que les découvrent les archéologues dans une gangue de terre sèche. Des résidus cramés, d’un noir si agressif qu’on craignait de s’en trouver le visage mâchuré. Pour ce faire une idée de ces œuvres, il faudrait peut-être déchirer la page de journal que vous avez ici en main et de laisser pendre, verticales, les lignes que vous venez de lire, pareilles à des fils en imaginant qu’y soient accrochées toutes les choses décrites. Un rideau se déploierait de tout ce que les siècles ont produit en menus déchets, rognures, séquelles, traces, relents, fonds de tiroir et scories. C’est le temps qui a passé après consommation. Pour un tel inventaire, d’autres artistes se seraient contentés pour leurs expositions, des balayures qu’ils auraient recueillies dans les arrière-cours. Martin Mc Nulty a créé au contraire chacun de ses petits objets, minutieusement. Tout le reliquat de nos surplus et de nos abandons, même les déblais de briques ou les fragments qu’on croyait de métal, ont été sculptés avec de la toile, de la résine, du papier, des enduits, pliés et modelés avec une ivresse de joaillier, plongés dans des bains d’acide, peints à l’acrylique ou à l’huile, amoureusement moirés et craquelés et enroulés et percés et donnés à voir à foison comme autant de surprises, autant de secrets, autant de petites joies et d’angoisses qu’en dispense notre monde vieillissant à ceux qui se soucient encore de regarder.

 

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