Tiphaine Stepffer
Editorial
mardi 30 janvier 2007

Le thème central du numéro 11 de Toc Toc Toc est « L’amour, l’amitié, la famille, le sexe... et l’art dans tout ça ». Le Dossier s’est constitué avec facilité. La pensée si actuelle de Diderot nous laisse encore perplexes. A la relecture des textes du philosophe, par la description minutieuse des passions et des sentiments qu’il nous livre, nous avons ressenti sa force prodigieuse. La justesse de ses analyses nous permet de pénétrer dans son époque jusqu’à y toucher « une certaine odeur des testicules »...comme il l’écrivait lui-même. Nos Philosophes des Lumières nous ont légué une abondance de réflexions qui sont autant d’outils pour « travailler » la matière sociale. Ils ont combattu pour faire accepter l’idée de laïcité et la séparation des pouvoirs. Ils ont mis en doute les certitudes religieuses et ont constamment défendu la dignité de l’homme. Leur ennemi d’alors s’appelait l’obscurantisme. Ce sont pourtant bien les mêmes préoccupations, à savoir la même lutte contre le pouvoir et ses lois chaotiques, qui sont les nôtres actuellement. Cette conjecture nous a poussés à la recherche de nos contemporains, qu’ils soient penseurs, écrivains, plasticiens, artistes en général. Nous en avons trouvé une pléiade. C’est avec eux que cette confrontation nous intéressait. Leur lucidité de pensée et les réponses qu’ils ont amenées à notre projet a fait le reste.

Le Dossier central est constitué d’extraits de Platon, Descartes, Saint Thomas d’Aquin... mais aussi Freud, Sartre et d’autres encore. Leur apport aux investigations actuelles sur la nature humaine nous a laissé des textes fondamentaux. Nous avons choisi les fragments les plus denses, passionnés et révolutionnaires. Serge Chaumier nous propose un système audacieux et novateur, un nouvel art d’aimer pour faire perdurer le couple : c’est l’Amour « fissionnel ». Claudine Herrmann nous traduit avec fermeté l’essentiel de la pensée féminine et nous décrit le passage entre l’amour et l’intelligence. Julia Kristeva nous fait parvenir son « histoire » et analyse les facettes de l’amour selon Platon. Avec elle, c’est l’énigmatique Diotime, grande prêtresse du Banquet et que la philosophe place très haut, qui reste à jamais la « porteuse » de l’amour platonique. Enfin, Hélène Cixous écrit sur le désir et nous décrit une autre scène où il est question d’inventer l’amour, à partir du désir.

Réflexions d’artistes : nous avons vu les œuvres d’Alexandre Delay pour la première fois à la galerie Stadler. Depuis, nous avons suivi de loin l’accomplissement de ses recherches plastiques. Il nous envoie son travail et ses réflexions.

Textes contemporains : le digne descendant de Rabelais, notre « paniquant » Fernando Arrabal, versifie et « exécute », en philosophe, la description de la dernière visite à son psy. Divinement baroque. Martial Jalabert a tenu, par un tour de force, à s’emparer de l’unité de notre dossier en le submergeant de sa verve imagée, cocasse et décapante... De notre chère Barbara Fournier, de Lausanne, nous arrive un récit au goût sud-américain. L’histoire : les faubourgs de Rio... un pont de l’autre coté de l’ombre... Philippe Pujas, notre ami, nous envoie un peu en retard son article sur « la Liberté », thème de notre numéro précédent... On a dit oui. Liberté oblige...

Photographie : Christophe Beaucourt et ses images lumineuses qui déambulent le long des rues, des squares, des intérieurs, et se dessinent dans des « halos » de lumière.

Exploration des artistes-philosophes : fragments de textes, l’amour encore, le subconscient. Denis Roche nous fait « descendre » dans le désir du subconscient avoué d’un artiste, le photographe Jeandel, et nous fait « rentrer » dans les méandres d’une image. La photo est regardée et écrite, l’érotisme reste caché dans Le Boîtier de mélancolie.

Julia Kristeva nous a violemment secoués par son analyse du texte de George Bataille, « Ma mère ». La philosophe traque, décortique, dépèce « l’enflure sémantique » et « son aveu obscène ». Claudine Herrmann rentre en analyste sur le terrain de Breton. Consciencieusement, elle nous découvre une autre facette du « Système Surréaliste ». Des conséquences irréversibles se dégagent de ses explorations. De « L’Amour Fou » de l’ondine Nadja, il ne restera que l’arête.

Artistes contemporains : le peintre François Schnepp nous invite à rentrer dans son monde pictural où les animaux se sentent chez eux. Evolution des formes, des pelages, un graphisme dont le dynamisme, la couleur et les structures fonctionnent en simultané, avec intuition et spontanéité.

Livres : des écrivains, des beaux titres, des beaux livres. Calamity Jane : il s’agit ici de tout autre chose qu’un livre et ce n’est pas non plus un écrivain... Pourtant, ses vingt-cinq lettres adressées à sa fille nous ont émus. Mais l’auteur a choisi, à une époque impossible d’être autre chose que mère, le large. Le Far West l’attendait. Michel Fardoulis-Lagrange : il s’agit bien ici d’un portrait, et surtout celui de Georges Bataille. Il s’agit d’amitié et de fascination. L’ écriture est là : nous arrivons à comprendre malgré la subtilité et la pudeur de Fardoulis-Lagrange, que se mesurer à GB, ne peut le faire qui veut. Mais il n’ y a pas de doute, il possède cette grandeur. Lui peut s’attaquer à pareille cible. Henri Miller : document éblouissant. A la fin de sa vie, il a encore la force déchaînée « d’annoncer » et assumer « cet ultime cri du cygne ». Le prétexte : Brenda Venus. Des lettres d’amour d’un Miller au plus haut de sa verve, de son érotisme et de son courage. Andrée Chédid : œuvre poétique et dramatique. Sans conteste, l’écrivain de « La cité fertile » énonce, découvre et chante mieux que quiconque l’amour et la VIE.

Extases : Jean-Noël Vuarnet écrit : Comme la Madeleine du Corrège, « ancêtre de tant de baroqueries voluptueuses » ( cette Madeleine à qui, dans un tableau du Prado intitulé « Noli me tangere », le Seigneur tend une main qui cependant la repousse)... Extase, jouissance, vision mystique, expérience au féminin, une vérité plurielle, description radieuse de la volupté.

Exutoire : Raymond Queneau : du style à en crever de rire, d’étonnement, des constructions mentales pour atteindre les « surréalistes métaphores »...

Poésie : Arthur Rimbaud : « Michel et Christine ». Une pure beauté que ce poème métaphysique. Introduction de Remi Duhart.

Ecriture Internaute : La luciole électrique : l’un des plus vieux « journal » du net. Nos actualités vues et non corrigées, le climat, l’atmosphère de ces derniers mois, nos politiques, nos institutions, le privé, le grand vacarme électoral... La luciole perd pied, s’affole, titube... Fort heureusement, elle a des ailes.

Rock : Michel « screaming » Espag : nous savions notre chroniqueur accro au Rock. Là, il nous parle du punk et il se déchaîne. Oui ! le Punk reste vivant. Michel en est un exemple s’il en fallait un. « Punk not Dead » encore. « En avant, route » comme disait Rimbaud. L’histoire du rock est en marche, écriture acérée...